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Je dirai de la culture quelque chose d’analogue : sans domicile fixe, l’Indien ne sait aujourd’hui où établir son champ de maïs, et il ignore s’il aura le temps d’en récolter les produits. Il se concentre donc de plus en plus dans les habitudes de chasse, et, à mesure que le gibier devient plus rare, il le considère de plus en plus comme son unique ressource. C’est ainsi que l’approche d’un peuple cultivateur a rendu les indigènes de l’Amérique du Nord moins cultivateurs qu’ils ne l’étaient avant. Tous les hommes qui mènent une existence agitée et précaire sont portés à l’imprévoyance, le hasard joue forcément un si grand rôle dans leur vie, qu’ils sont tentés de lui abandonner volontairement la conduite de tout ; mais jamais cette imprévoyance des Indiens, fruit naturel de leur état social, ne se montra sous un caractère plus sauvage que de notre temps ; chez eux on aperçoit chaque jour un effet extraordinaire qui se produit de loin en loin parmi les hommes civilisés auxquels la direction de leur propre sort vient à échapper tout-à-coup. On a vu dans toutes les marines d’Europe des équipages, prêts à couler au fond de l’abîme, employer en orgie et en folle gaîté les derniers moments qui leur restaient ; ainsi arrive-t-il aux Indiens : l’excès de leurs maux les y rend insensibles ; sans avenir, sans sécurité même du lendemain, ils s’abandonnent avec un emportement sauvage aux jouissances du présent, laissant à la fortune le soin de les sauver d’eux-mêmes, si elle veut faire un effort de plus. Le goût pour les liqueurs fortes va toujours croissant parmi les sauvages, dit M. Schoolcraft, p. 387.

On a remarqué avec quelle difficulté les Indiens parvenaient à soutenir leur vie pendant l’hiver. Quand l’été commence, ils se rendent dans les endroits où se tiennent les commerçants européens, et, au lieu d’échanger leurs pelleteries contre des objets utiles, ils les emploient presque toujours à acheter de l’eau-de-vie, se consolant des privations et des maux soufferts par d’affreuses orgies. « Ici, dit Tanner, p. 57, les Indiens dépensèrent en très-peu de temps toutes les pelleteries qu’ils s’étaient procurées dans une chasse longue et heureuse. Nous vendîmes en un jour cent peaux de castor pour avoir de l’eau-de-vie. » il dit dans un autre endroit, p. 70 : « Dans un seul jour nous vendîmes cent vingt