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nouvelle idole. Nous assistions ensemble à un concert ; un instant auparavant, elle m’avait dit sur la musique en général des choses qui m’avaient transporté ; mais, quand elle en vint à juger successivement les différentes parties du concert, je fus saisi d’un étonnement que je ne saurais vous dépeindre. C’était de sa part une abondance d’éloges qui ne tarissait point ; elle louait si souvent et avec tant de bruit qu’elle ne pouvait rien entendre : toutes ses admirations tombaient à faux. Du reste, elle ne paraissait pas tenir à faire preuve de discernement ; elle avait à son usage une somme déterminée d’enthousiasme, qu’elle dépensait à tout hasard, bien ou mal à propos, ne s’arrêtant qu’après en avoir achevé la distribution.

Ce caractère, que je retrouvai plus tard dans un grand nombre de jeunes Américaines, n’a rien qui plaise. Les femmes à exaltation factice sont aussi froides que les autres, et, comme elles promettent davantage, elles donnent une déception de plus. Je revins à ma première opinion ; mais ce fut pour y être encore une fois troublé. À l’âge de dix-huit ans, Alice n’était pas jolie, mais elle attirait vers elle par son esprit ; elle négligeait l’art et les soins de la toilette ; sa mise était dépourvue de grâce et d’élégance, et on eût jugé qu’elle n’avait aucune prétention, car elle portait publiquement des besicles. Cependant elle plaisait et avait le désir de plaire : sa coquetterie était tout intellectuelle ; elle charmait à force de saillies, de naturel et de vivacité. Je la voyais environnée d’adorateurs, et je me prenais quelquefois à penser qu’elle était vraiment digne des hommages qu’on lui adressait, lorsque je découvris que depuis longtemps elle était secrètement engagée.

Aux États-Unis, quand deux personnes ont reconnu qu’elles se conviennent, elles promettent de s’unir l’une à l’autre, et sont ce qu’on appelle engagées ; c’est une espèce de fiançailles qui se font sans solennité, et n’ont d’autre sanction que le lien de la foi jurée.

La jeune fiancée, si peu soucieuse des moyens de plaire aux yeux, était plus coquette qu’aucune autre, puisqu’elle l’était sans intérêt : ce fut le terme de mes admirations.

Du reste, une excessive coquetterie est le trait commun à toutes les jeunes Américaines, et une conséquence de leur éducation.