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la vue d’épargner à leurs arrière-neveux les dangers d’une lutte entre les deux races.

Ils le feront d’autant moins que, outre le péril attaché à cette mesure, leurs intérêts matériels en seraient lésés. Toutes les richesses, toutes les fortunes des États du Sud, reposent, quant à présent, sur le travail des esclaves ; une indemnité pécuniaire, quelque large qu’on la suppose, ne remplacerait point, pour le maître, les esclaves perdus ; elle placerait entre ses mains un capital dont il ne saurait que faire. Plus tard sans doute de nouvelles entreprises, de nouveaux modes d’exploitations, se formeraient ; mais la suppression des esclaves serait, pour la génération contemporaine, la source d’une immense perturbation dans les intérêts matériels.

On se demande s’il est croyable qu’une génération entière se soumette à une pareille ruine pour le plus grand bien des générations futures. — Non, il est douteux même qu’elle se l’imposât en présence de dangers actuels. Rien n’est plus difficile à concevoir que l’abandon fait par une grande masse d’hommes de leurs intérêts matériels, dans la vue d’éviter un péril. Le péril présent n’est encore qu’un malheur à venir : le sacrifice serait un malheur présent.

Mais, dit-on, ces objections sont évitées en grande partie, si, en déclarant libres les enfants à naître des nègres, on maintient dans la servitude les esclaves nés avant l’acte d’abolition. Dans cette hypothèse, ceux qui abolissent l’esclavage conservent leurs esclaves, et la génération qui souffre de l’affranchissement n’a point connu un état meilleur.

Ce système affaiblit sans doute les objections, mais il ne les détruit pas entièrement. N’est-ce pas jeter parmi les esclaves un principe d’insurrection que de déclarer libres les enfants à naître, tout en maintenant les pères dans la servitude ? On s’efforce à grand’peine de persuader au nègre esclave qu’il n’est pas l’égal du blanc, et que cette inégalité est la source de son esclavage ; que deviendra cette fiction en présence d’une réalité contraire ? comment le nègre esclave obéira-t-il à côté de son enfant, investi du droit de résister ?

C’est d’ailleurs attribuer aux Américains du Sud un égoïsme exagéré, que de supposer qu’en conservant intacts leurs droits, ils anéantiront ceux de leurs enfants. Autant il