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Ce n’est pas là une tyrannie de sang et de supplices, c’est la tyrannie la plus froide et la plus intelligente qui jamais ait été exercée par le maître sur l’esclave.

Cependant, sous un autre point de vue, l’esclavage américain n’est-il pas plus rigoureux que ne l’était la servitude antique ?

L’esprit calculateur et positif du maître américain le pousse vers deux buts distincts : le premier, c’est d’obtenir de son esclave le plus de travail possible ; le second, de dépenser le moins possible pour le nourrir. Le problème à résoudre est de conserver la vie du nègre en le nourrissant peu et de le faire travailler avec ardeur sans l’épuiser. On conçoit ici l’alternative embarrassante dans laquelle est placé le maître qui voudrait que son nègre ne se reposât point et qui pourtant craint qu’un travail continu ne le tue. Souvent le possesseur d’esclaves, en Amérique, tombe dans la faute de l’industriel qui, pour avoir fatigué les ressorts d’une machine, les voit se briser. Comme ces calculs de la cupidité font périr des hommes, les lois américaines ont été dans la nécessité de prescrire le minimum de la ration quotidienne que doit recevoir l’esclave, et de porter des peines sévères contre les maîtres qui enfreindraient cette disposition[1]. Ces lois, du reste, prouvent le mal, sans y remédier : quel moyen peut avoir l’esclave d’obtenir justice du plus ou moins de tyrannie qu’il subit ? En général, la plainte qu’il fait entendre lui attire de nouvelles rigueurs ; et lorsque par hasard il arrive jusqu’à un tribunal, il trouve pour juges ses ennemis naturels, tous amis de son adversaire.

Ainsi il me parait juste de dire qu’aux États-Unis l’esclave n’a point à redouter les violences meurtrières dont les esclaves des anciens étaient si souvent les victimes. Sa vie est protégée ; mais peut-être sa condition journalière est-elle plus malheureuse.

J’indiquerai encore ici une dissemblance : l’esclave, chez les anciens, servait souvent les vices du maître ; son intelligence s’exerçait à cette immoralité.

  1. Lois de la Caroline, Brevard’s Digest, vº Slaves, § 46, t. II, p. 241. — Lois de la Louisiane, Code noir, art. 1er, sect. 3, t. I, p. 220. — Lois du Tennessee, t. I, vº Slaves, p. 321.