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la législation qui les consacre ; mais, sans les créer, la loi les proclame, et, en même temps qu’elle les reconnaît dans les hommes libres, il lui est facile de les contester à ceux qu’elle veut en dépouiller.

Jusque-là le législateur marche dans une voie où peu d’obstacles l’arrêtent. Il a sans doute fait beaucoup, puisque déjà il n’existe pour l’esclave ni patrie, ni société, ni famille ; mais son œuvre n’est pas encore achevée.

Après avoir enlevé au nègre ses droits d’Américain, de citoyen, de père et d’époux, il faut encore lui arracher les droits qu’il tient de la nature même ; et c’est ici que naissent les difficultés sérieuses.

L’esclave est enchaîné ; mais comment lui ôter l’amour de la liberté ? il n’emploiera pas son intelligence au service de l’État et de la cité ; mais comment anéantir cette intelligence dont il pourrait user pour rompre ses fers ? 11 ne se mariera point ; mais, quelque nom qu’on donne à ses rapports avec une femme, ces rapports existent, on ne saurait les briser ; ils forment une partie de la fortune du maître, puisque chaque enfant qui naît est un esclave de plus ; comment faire qu’il y ait une mère et des enfants, un père et des fils, des frères et des sœurs, sans des affections et des intérêts de famille ? en un mot, comment obtenir que l’esclave ne soit plus homme ?

Les difficultés du législateur croissent à mesure que, passant de l’interdiction des droits civils à celle des droits naturels, il quitte le domaine des fictions pour pénétrer plus avant dans la réalité. Son premier soin, en déclarant le nègre esclave, est de le classer parmi les choses matérielles : l’esclave est une propriété mobilière, selon les lois de la Caroline du Sud ; immobilière dans la Louisiane.

Cependant la loi a beau déclarer qu’un homme est un meuble, une denrée, une marchandise, c’est une chose pensante et intelligente ; vainement elle le matérialise, il renferme des éléments moraux que rien ne peut détruire : ce sont ces facultés dont il est essentiel d’arrêter le développement. Toutes les lois sur l’esclavage interdisent l’instruction aux esclaves ; non-seulement les écoles publiques leur sont fermées, mais il est défendu à leurs maîtres de leur procurer les connaissances les plus élémentaires. Une loi de la Caroline du Sud