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Vainement je m’étais répété cent fois qu’ayant renoncé aux chimères, il fallait les oublier, et ne plus voir que les réalités au sein desquelles je voulais vivre… Il m’était impossible d’éloigner de ma vue les images brillantes dont j’avais reconnu le mensonge.

Un temps très-court suffit pour me démontrer que le mal que je portais en moi-même était sans remède ; je ne m’obstinai point à le combattre : j’en reconnus la grandeur et je me soumis. Sans passions, sans désespoir, je revins dans ce désert, seul lieu qui convînt à l’état de mon âme ; je ne pouvais plus demeurer parmi les hommes ; et cette solitude offrait du moins à mon cœur l’intérêt du souvenir le plus désolant, mais aussi le plus cher de ma vie.

Maintenant, je présente l’étrange spectacle d’un homme qui a fui le monde sans le haïr, et qui, retiré au désert, ne cesse de penser à ses semblables qu’il aime, et loin desquels il est forcé de vivre. Il est bien triste de sentir à chaque instant le besoin de la société, et d’avoir acquis l’expérience qu’on ne peut plus demeurer dans son sein. La source première de toutes mes erreurs a été de croire l’homme plus grand qu’il n’est.

Si l’homme pouvait embrasser la généralité des choses, ramener à un seul principe tous les faits de l’humanité, et établir sur la terre, par un acte de sa puissance, l’empire de la justice et de la raison, il serait Dieu ; il ne serait plus l’homme.

L’homme n’est pas satisfait de la part d’intelligence qui lui a été dévolue ; il voudrait que ses facultés morales fussent au moins plus hautes de quelques degrés… Mais à quel point s’arrêterait-il ? Si sa plainte était écoutée, à mesure qu’il s’élèverait, il voudrait monter davantage, jusqu’à ce qu’il arrivât à la perfection morale qui est Dieu ; mais alors il ne serait plus l’homme.

Ma seconde erreur fut de croire indigne de l’homme le rôle secondaire que sa nature bornée lui assigne… Les plus nobles passions, les sentiments les plus généreux peuvent se mouvoir dans le cercle étroit où sa puissance est renfermée : le résultat est petit, Mais l’effort est grand. Sans arriver jamais à la perfection, l’homme y vise toujours : c’est là sa grandeur. Tel