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Témoin du bonheur calme et paisible dont jouissait le vieillard qui m’avait épargné un crime, je résolus d’étudier sa vie. La sérénité de son âme, la tranquillité de son esprit me paraissaient des biens inestimables. Ne pouvais-je pas, en l’imitant, devenir aussi heureux que lui ? Cependant, en voyant de près cet homme devant la vertu duquel je m’étais incliné comme devant l’image de Dieu même, je crus apercevoir de la petitesse dans sa grandeur. Ce prêtre sublime dans sa charité, et qui passait la moitié de ses jours en bienfaisance, consacrait l’autre à des pratiques de dévotion qui me semblaient étroites, minutieuses, puériles. Sans doute j’avais tort. Je reconnaissais intérieurement mon erreur : quand l’œuvre est si grande, le moyen peut-il être infime ? Cependant mes impressions étaient plus fortes que mes raisonnements.

Après avoir vu la vertu rapetissée par les infirmités de l’intelligence, je la trouvais ailleurs corrompue par des usages et des besoins sociaux.

Je vis un homme de mauvaises mœurs honoré du suffrage de ses concitoyens, parce qu’il possédait des talents politiques ; un autre devint un personnage important dans l’État parce qu’il avait des vertus privées. Une jeune fille faisait la joie de parents dignes et vénérables ; elle fut mariée par eux à un riche vieillard !…

Je reconnaissais bien qu’ainsi le veulent les misères de l’humanité. Tantôt le bien semble dépendre d’une vaine forme ; une autre fois le vice se trouve mêlé à la vertu même ; mais le mal ne me semblait pas moins triste, parce que j’en voyais la cause.

Je rencontrais partout les mêmes imperfections. Les sociétés de bienfaisance dont j’étais membre suivaient les inspirations de la charité la plus pure ; mais pour une plaie que nous pouvions guérir, mille demeuraient sans remède… Est-ce donc là tout le pouvoir de l’homme ? J’approuvais ceux qu’un aussi misérable résultat ne décourageait pas ; mais je me sentais incapable de les imiter. Vainement je prenais toutes les habitudes de la vie pratique et m’efforçais de me créer dans la société quelques intérêts : je n’y trouvais qu’ennui et dégoût.

Alors je jetai sur moi-même mi regard ferme et tranquille ; je n’accusai point la société d’injustice, ni ne déclamai contre