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Quand le prêtre eut ainsi parlé, il se leva : « Mon ami, ajouta-t-il, ne restez point dans ce lieu. Prenez garde aux conseils funestes de la solitude et du malheur.

— « Mon père, m’écriai-je, vous m’avez préservé d’un grand crime… mais ne me demandez point un sacrifice supérieur à mon courage. Tant que coulera dans mes veines une goutte de sang, elle alimentera mon chagrin. Et qui donc, si j’abandonnais le désert, veillerait sur cette cabane, monument sacré de ma douleur ? Ne voyez-vous pas l’Américain avide passant la charrue sur des ossements pour féconder sa terre ?… Ah ! je ne laisserai point s’accomplir une pareille profanation ! »

Voyant ma résolution inébranlable, le vieillard me quitta en me disant :

« Souvenez-vous, mon enfant, que vous avez, non loin d’ici, un ami bien tendre ; puissiez-vous un jour venir vers moi… mais, mon cher fils, me dit-il en me montrant sa tête blanchie par les hivers, n’attendez pas trop long-temps… »

En disant ainsi, le vieillard s’éloigna, emportant mes bénédictions et laissant dans mon âme de profondes impressions.

J’étais toujours malheureux, mais je n’étais plus impie, car j’avais vu sur la terre l’image de la divinité dans un vieillard vénérable. J’étais également moins seul depuis que la religion était descendue dans mon âme, et l’aspect de la vertu calme et résignée avait ranimé mon courage.

Le jour suivant fut un jour de grandes réjouissances parmi les deux tribus indiennes qui se trouvaient réunies dans ce lieu. Le bateau qui portait les Cherokis laissés par Nelson au fort Gratiot venait d’arriver à Saginaw, et, grâce aux efforts généreux du père de Marie, les Ottawas avaient déposé les armes. Toute la nation des Cherokis se trouvait réunie ; les Ottawas consentirent à lui donner asile sur leurs terres. Un traité d’alliance fut conclu, et le bon accord parut établi entre les deux tribus. Nelson se fixa au milieu de ces sauvages et redoubla de zèle pour maintenir l’union entre eux et leur enseigner les vérités du christianisme. Il s’efforça de m’attirer près de lui : mais je ne voulus point quitter ma solitude et la tombe de Marie.