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regrettai point l’indiscrétion de mon désespoir ; car le moment était opportun pour dire au père de Georges toute l’énormité de son malheur. La prière et la douleur avaient élevé son âme vers le ciel ; et l’homme religieux est toujours fort. La pensée qui monte de la terre et arrive jusqu’à Dieu est comme une colonne puissante à laquelle le plus faible se retient…

Pendant un instant, le front du presbytérien sembla plier sous le coup, et, pour la première fois, je crus que ses forces morales seraient au-dessous de son infortune… Mais il releva sa tête, et laissa voir deux larmes étonnées d’avoir coulé de ses yeux ; alors je lui remis la lettre de Georges. Nelson en fit la lecture, et, depuis ce jour, je l’ai relue tant de fois, que je me rappelle exactement ses termes :

« Mon père, écrivait Georges, si cette lettre vous est remise, elle vous annoncera que je n’existe plus. Ne vous affligez point… J’aurai souffert une mort digne de vous et de moi-même. Je ne serai point assez lâche pour attenter à ma vie… Mais il me sera doux de mourir en combattant nos oppresseurs… Je sais, mon père, quel jugement les hommes porteront sur moi, si toutefois mon nom me survit dans leur pensée… Je serai appelé par eux factieux et rebelle… Ils m’ont persécuté durant ma vie, et flétriront ma mémoire… mais leur sentence n’atteint point mon âme… J’ignore si mon sang contient des souillures… mais je suis assuré de la pureté de mon cœur… Je paraîtrai confiant devant Dieu… J’ai pris une résolution fatale qui me réjouit : je vaincrai mes ennemis, ou ne survivrai point à notre défaite. Hélas ! j’espère peu de succès ; la population noire est vouée à l’éternel mépris des blancs ; la haine entre nos ennemis et nous est irréconciliable : une voix intérieure me dit que ces inimitiés ne finiront que par l’extermination de l’une des deux races ; je ne sais quel pressentiment plus triste encore m’avertit que la lutte nous sera fatale… L’issue funeste que je prévois ne me trouble point. J’ignore les desseins de Dieu ; mais je sais les devoirs dont la source est en moi-même ; ma conscience m’apprend qu’il est toujours beau de donner sa vie pour le service d’une sainte cause… Vous le dirai-je, cependant, ô mon père,