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Cependant, à l’instant où je me félicitais d’être isolé pour souffrir sans trouble, j’ai connu toute la faiblesse de l’homme.

Telle est l’infirmité de notre nature, que le malheureux, réfugié dans les secrètes joies de son infortune, ne peut pas même supporter long-temps l’excès de la douleur la plus chère.

Après avoir joui de mes larmes solitaires, je tombai dans un si grand anéantissement, que je me pris à regretter mon éloignement du monde.

Mais ce monde, que j’ai fui, ne peut m’entendre. Je gémis : aucune voix ne me répond. Je chancelle : aucune main amie ne s’avance pour soutenir ma faiblesse… alors, il faut se repaître d’amertume et de désespoir… alors, en présence de cet être chéri, tout à l’heure palpitant d’amour, et maintenant inanimé, la mort avec ses terribles mystères se révèle à moi dans toute son horreur. À force de contempler des traits adorés, où je cherche en vain la vie, mes yeux se troublent, ma raison s’égare ; tous les souvenirs de cette affreuse nuit se représentent à mon imagination ; mille fantômes m’apparaissent… je crois entendre la voix de Marie qui se plaint… je lui réponds : « Ma bien aimée, c’est moi ! c’est ton ami,… » Mais ses traits sont immobiles… je cherche la vie sur ses lèvres pâles, naguère si suaves… j’y trouve un froid de mort…

Alors il me semble que des accents funèbres, des bruits d’orage et d’incendie, des sifflements de serpents, retentissent autour de moi. Je sens au fond de mon cœur un fer ardent qui le brûle et se retourne mille fois dans la plaie… accablé sous l’épouvante et la douleur, je sens mes genoux fléchir, et je tombe…

Je ne sais combien de temps je demeurai immobile, privé de mes sens.

Le jour qui suivit cette nuit funeste, je fus arraché à ma léthargie par une main secourable… c’était celle de Nelson. En entrant dans la chaumière, il crut voir deux cadavres : hélas ! pourquoi ne fut-ce qu’une illusion de son regard ! Plût au Ciel qu’il n’eût point ranimé chez moi un reste de vie prête à s’éteindre dans la douleur ! !