Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/208

Cette page n’a pas encore été corrigée

par les grondements d’un tonnerre qui ne se reposait point ; ne sachant si toutes les puissances du ciel et de l’enfer étaient liguées contre un seul homme, je me jetai à genoux, les mains jointes, prosterné en face de mon amie ; et tour à tour portant mes yeux sur son visage pâle et livide, puis les élevant vers le ciel, je priai Dieu avec ferveur… Les éclairs qui sortaient d’une nuit sombre illuminaient cette scène solennelle… J’étais dans une extase de terreur muette, de désespoir instinctif et d’espérance religieuse, lorsque les yeux de Marie venant à se porter sur moi :

« Mon ami, me dit-elle dans un moment lucide, dernier rayon d’une intelligence prête à s’éteindre, tu pries pour moi !… oh ! merci !… vois quel est le courroux du Ciel !… mon Dieu ! je suis donc bien coupable ! ! ! »

À cet éclair passager de raison succéda une crise plus violente encore que la première ; une extrême agitation s’empara de ses sens ; elle prononçait des paroles incohérentes, des phrases entrecoupées de soupirs… ces mots : Race maudite, infamie du sang, destin inexorable, sortaient de sa bouche ; enfin elle répéta mon nom deux fois, et quoiqu’en délire, elle pleura. Elle ne dit plus rien.

Je vis bien que les temps étaient accomplis pour la fille de Nelson ; la nature elle-même, dont les grandes crises révèlent quelquefois les mystères de l’avenir, semblait m’avertir que le sacrifice allait se consommer ; l’orage avait annoncé toutes les phases de l’agonie… En cet instant la forêt fut pleine d’effroyables retentissements ; les éclats du tonnerre ne laissaient point de relâche aux échos dont les voix innombrables, éveillées au sein des profondes solitudes, multipliaient à l’infini les terreurs de la céleste vengeance ; les grands pins, les vieux chênes, craquaient, tombaient avec fracas, brisés, brûlés par la foudre, déracinés par les vents ; mille clartés éblouissantes, sorties d’un ciel ténébreux, répandaient sur toute la terre les lueurs épouvantables d’un embrasement universel ; tandis qu’à travers cette atmosphère de feu, les torrents tombés des nuages roulaient tumultueusement du haut des collines dans les vallées, mêlant ainsi les destructions du déluge aux horreurs de l’incendie.

À tous ces bruits de la foudre, des échos, des torrents, le