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mais aie pitié d’une infortunée qui n’a que peu de temps à t’affliger… Laisse ma tête s’appuyer sur toi, pour que j’entende encore le battement de ton cœur… Nous étions ainsi dans la prairie vierge ; n’est-ce pas qu’alors toi aussi tu étais heureux ?… Oh ! c’est maintenant qu’il faut me dire que tu me pardonnes. Grâce, mon ami, grâce pour la pauvre fille qui t’aimait… Il faut que je te dise une chose que je t’avais toujours cachée, c’est que je t’aimai le premier jour où je te vis. Mon cœur a soutenu bien des combats… Je fuyais ton regard, ta présence qui me charmaient, et, quand je reçus la révélation de ton amour, je me sentis enivrée de tant de bonheur, que ma raison faillit de s’égarer… Cependant je pressentais nos malheurs, et je pleurai sur ma joie… Mon ami, je te dis ces choses pour que tu me pardonnes en voyant que mon cœur était bon… »

Navré de douleur, je pressai sur mon sein le visage de mon amie : « Te pardonner, m’écriai-je, ange d’innocence et de bonté !… » Et les sanglots étouffaient ma voix.

À l’instant où le mot pardon sortit de ma bouche, la figure de Marie prit l’expression de la reconnaissance ; alors elle se laissa retomber sur sa couche comme si tous ses vœux eussent été accomplis. Je vis sa raison et ses forces décliner avec une effrayante rapidité… Il était minuit… la fièvre redoublait… Marie tomba dans un affreux délire.

En ce moment toutes les fureurs de la tempête étaient déchaînées au dehors… la foudre grondait dans le ciel ; un vent impétueux ébranlait la forêt ; les eaux de l’orage tombaient avec une violence contre laquelle notre faible réduit était impuissant à nous protéger.

O mon Dieu ! vous savez quelles furent mes angoisses durant cette nuit fatale, quand, dénué de tout secours, abandonné à ma misère et à mon désespoir, je me trouvai seul en face d’un être adoré, témoin de maux que je ne pouvais soulager, d’un délire qui troublait ma propre raison… seul dans une forêt sauvage, au milieu d’une nuit ténébreuse, pleine de terreurs du ciel et de la terre ; placé entre l’être innocent dont je voyais l’agonie, et le Dieu vengeur dont j’entendais la colère ; l’orage sur la tête et dans le cœur !… brisé jusqu’au fond de l’âme par les accents douloureux de Marie ; anéanti