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serviteur, lui répondis-je, c’est aussi ma vie que tu sauveras. »

J’ignore si un effort extraordinaire de l’âme ne peut pas assoupir les plus cruelles douleurs et ranimer subitement une vigueur éteinte ; mais je vis Ovasco, après avoir reçu mes embrassements, passer le fleuve dans une barque, et tout aussitôt traverser, avec la vitesse de l’élan, la prairie qui couvre la rive opposée.

Ici Ludovic s’interrompit ; sa physionomie mélancolique se couvrit d’un nuage de tristesse encore plus sombre ; et, après un instant de silence, il reprit en ces termes :

« Hélas ! jusqu’à ce jour je vous ai dit des malheurs ; maintenant j’ai à vous raconter des infortunes qui ne se décrivent point.

Le jour qui suivit le départ d’Ovasco, j’éprouvai toutes les émotions que donne une fausse joie : je vis arriver à Saginaw une troupe considérable d’Indiens, dont le costume et l’aspect extérieur étaient en tous points semblables à ceux des Cherokis. Je ne doutai pas que ce ne fussent les compagnons de Nelson, et, persuadé que celui-ci était parmi eux, je m’empressai d’aller à sa rencontre. Cependant je ne reconnaissais aucun des visages que je voyais de près, et bientôt j’eus la certitude que ces Indiens, quoique appartenant à la tribu des Cherokis, n’étaient point ceux que nous attendions.

Tandis que je les observais, je fus témoin d’une scène qui devint pour moi l’occasion d’une révélation terrible…

L’arrivée des Cherokis avait mis en émoi toute la tribu des Ottawas qui occupe Saginaw et les environs… Ceux-ci comprenaient combien leur serait funeste la présence de ces nouveaux venus sur un territoire qui déjà fournissait à peine des moyens d’existence à ses anciens habitants… Le plus grand nombre dissimula son ressentiment… Mais quelques-uns n’eurent point la prudence de le cacher…

— « Tu prends nos terres, dit un Indien Ottawa à un chef des Cherokis…

— « Les forêts du Michigan, répond celui-ci, ne sont elles pas assez grandes pour nous contenir tous ?