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notre situation. Nelson devait nous préparer un asile qui nous manqua. Je me mis à l’œuvre aussitôt. Mais je ne sais quel eût été notre sort si, en attendant que notre cabane fût élevée, nous n’eussions pas trouvé l’abri d’un toit hospitalier.

Saginaw, où vous voyez en ce moment deux habitations édifiées avec quelque soin, n’en possédait alors qu’une seule de grossière construction, et que nous trouvâmes occupée par un Américain canadien d’origine. Cet homme parut joyeux de nous voir, et, me reconnaissant à cet air de famille qu’ont tous les Français : « Vous venez, me dit-il, de la vieille France ? » Il était né parmi les Indiens, dont il avait pris presque toutes les mœurs. La chasse et la pêche suffisaient à ses besoins, et il trouvait un charme extrême dans une vie toute de liberté sauvage.

Comme nous arrivions il était sur le point de partir ; il se rendait aux environs du fort Gratiot pour la chasse du ramier ; il nous offrit sa cabane et nous engagea d’y rester jusqu’à ce que j’en eusse construit une autre. Je lui proposai de l’acheter, laissant à sa bonne foi le soin d’en fixer le prix ; mais il n’écouta point ma demande, et me dit pour toute réponse qu’il aimait ce lieu, qu’il y était né, et qu’il y passerait le reste de ses jours.

Ainsi se retrouve jusqu’au fond du désert le caractère des nations.

L’Américain de race anglaise ne subit d’autre penchant que celui de l’intérêt ; rien ne l’enchaîne au lieu qu’il habite, ni liens de famille, ni tendres affections… Toujours prêt à quitter sa demeure pour une autre, il la vend à qui lui donne un dollar de profit.

Non loin de là vous voyez l’homme de sang, français s’attacher à sa terre natale, chérir le pays où ses pères ont vécu, aimer pour eux-mêmes les objets qui l’environnent, et préférer ces choses de valeur tout idéale aux froides jouissances de la richesse.

J’acceptai son offre, et ne pus le déterminer à recevoir le prix du service qu’il me rendait.

Nous avions un asile… mais tout était encore obstacle et misère autour de nous.

Marie fut, dès le premier jour, saisie d’une fièvre particulière