Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/189

Cette page n’a pas encore été corrigée

pensai qu’un peu de repos la soulagerait, et j’ordonnai à notre petite caravane de s’arrêter.

Durant cette halte, je demandai par signes à Onitou, si nous approchions de Saginaw. Il comprit très-bien ma question, et dessinant sur la terre deux points qui figuraient, l’un Saginaw, l’autre la rivière des Sables, il tira une ligne de l’un à l’autre, et marqua sur cette ligne un troisième point indiquant la place que nous occupions ; ce point se trouvait au tiers de la ligne ; nous n’étions donc qu’au tiers de notre route. Un instant après, et tandis que nous étions assis sous l’ombre d’un catalpa, nous voyons l’Indien se lever, prendre sa course devant nous, plus léger qu’un chevreuil, en criant : Saginaw ! Saginaw ! et en nous montrant le soleil déjà parvenu au milieu de sa course.

Alors Marie fit un effort courageux pour se lever ; nous continuâmes notre route dans le désert… Je m’aperçus bientôt à la voix de Marie que ses forces allaient toujours en déclinant. Après de longues heures de marche, j’ordonnai de nouveau à notre guide de s’arrêter… mais, à ma voix, il redoubla de vitesse, en m’indiquant, par un geste expressif, que le soleil était descendu dans le sein de la terre et que la forêt allait bientôt se couvrir de ténèbres. Cependant le désert présentait à nos yeux un aspect de plus en plus effrayant. Le sentier que nous suivions était si étroit que Marie et moi ne pouvions plus aller de front ; il était à peine marqué ; sans cesse on le perdait de vue, et alors nous avions l’air de marcher à tout hasard au travers de la forêt. La nuit étant venue, le silence avait cessé, mais la solitude avait pris une voix terrible et lugubre. On n’entendait que le meuglement des ours et le chant sinistre des oiseaux nocturnes. La lune, qui mêle un charme aux nuits les plus funestes, comme l’amour d’une belle femme répand de secrets enchantements sur une vie malheureuse, ne se montrait point encore…

Alors en pensant à Marie, à ses souffrances, que trahissaient quelques cris échappés à la douleur, je sentis mon sang se glacer dans mes veines et mes forces prêtes à défaillir… Dans cet état de faiblesse physique, ma raison elle-même fut troublée, et mon imagination me fit voir autour de Marie une foule de monstres fantastiques qui menaçaient son existence ;