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désert… Nous marchions sans entendre le chant d’un oiseau, le bourdonnement d’un insecte, le mouvement d’un seul être vivant… Ce n’était plus le silence de la nature qui se repose après les chants du jour, et qu’on entend encore respirer pendant qu’elle dort… c’était le silence morne du néant… Le seul bruit qui frappât notre oreille était causé par les pas de notre guide et par ceux de nos chevaux ; bruit régulier qui ajoutait encore à la monotonie du lieu. Plus de vallons, plus d’échos, plus de prairies, plus de ciel ; partout la forêt, partout les mêmes arbres, partout un sol uniforme ; à chaque pas nouveau, nous retrouvons le site que nous venons de quitter. Il semble que nous marchions sans avancer, jouet d’une puissance invisible, qui nous donne l’illusion du mouvement et paralyse nos efforts. Nous allons toujours… toujours… et la scène ne change pas ! ! Où sommes-nous donc ? Suivons nous notre route ? Où est le Nord vers lequel nous devons aller ? le Sud que nous devons fuir ? je crois que nous retournons sur nos pas ; que cette forêt est grande !… et si elle ne finissait pas ! ! elle devient de plus en plus épaisse ; ses ombres plus solennelles… ses voûtes muettes sont si pleines de silence, de terreurs et de mystères, qu’on se croit engagé dans des catacombes et perdu dans leurs détours.

Ces impressions étaient d’autant plus puissantes sur nous qu’elles contrastaient avec toutes les émotions de la veille, les unes si brûlantes, les autres si douces. Je sentais le froid pénétrer dans mon âme et comme une barre d’airain qui pesait sur mon cœur.

« Mon Dieu, me dit Marie en se rapprochant de moi et en saisissant ma main, que cette solitude est profonde et terrible !… » — Et comme son esprit était prompt à saisir les funestes présages : « Mon ami, me dit-elle, sois sûr que ce jour sera un jour fatal… je ne sais pourquoi le souvenir de Georges ne me quitte point ; sans doute quelque affreux malheur… »

Elle n’acheva pas : une larme compléta sa pensée. Je m’efforçai de la rassurer et de lui donner plus de sécurité que je n’en avais moi-même… Cependant je fus vivement frappé de l’altération dont tous ses traits portaient l’empreinte. Je