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de temps après, nous étions sur le bord méridional de la rivière des Sables ; c’était le bord opposé qui devait nous fournir un asile pour la nuit ; le lendemain nous partirions pour Saginaw. Conduits par Ovasco et par Onitou, nos chevaux passèrent la rivière à la nage ; je fis monter Marie dans un canot d’écorce que nous trouvâmes sur le rivage ; je me plaçai près d’elle, et je dirigeai de mon mieux la petite barque qui portait un être adoré, mes espérances et toute ma destinée. Je me rappellerai toujours avec délices ce court instant de bonheur : c’était l’heure où le jour cesse, et où la nuit n’est pas encore venue ; quand les oiseaux de lumière ont fini leurs concerts, et que ceux des ténèbres n’ont pas commencé leurs chants lugubres ; alors que, succédant aux ardeurs du soleil qui réveille et vivifie tout, l’astre des nuits répand ses molles clartés sur la nature qui s’endort.

Admirable contraste ! à ces voix innombrables, à ces chants, à ces murmures, à toutes ces harmonies de la journée, avait succédé un silence profond ; tout se taisait autour de nous ; pas un bruit lointain ne frappait notre oreille, des mouches aux ailes de feu * semaient dans l’air, en voltigeant, mille bluettes enflammées, qu’on eût prises pour les étincelles d’un vaste incendie, sans la délicieuse fraîcheur qui régnait autour d’elles.

[Note du copiste : * Les Notes d’auteur en fin d’ouvrage ne comportent aucune référence à l’astérique dans le paragraphe ci-dessus. ]

Tout pleins du calme que nous respirions, incapables de prononcer une parole, nous retenions notre souffle de peur de troubler le silence de la nature ; nous demeurions immobiles, et notre canot s’en allait au gré du courant. Déjà, dépassant la cime des grands pins, la lune projetait sur nous sa clarté mystérieuse, et reflétait ses rayons tremblants sur la surface de l’onde, légèrement agitée par notre frêle esquif ; la paix de l’atmosphère était entrée dans nos âmes ; nous ne pensions point, nous avions le cœur plein ; notre bonheur s’était modifié comme la nature elle-même, tout-à-l’heure si vive, si ardente, si animée, maintenant tranquille et muette. C’était le soir, tendre crépuscule du désert et du cœur, douce rosée qui venait rafraîchir nos âmes brûlées par les passions du jour.

Comme je prenais une rame pour diriger notre canot vers le rivage : — « Oh ! mon ami, quel malheur ! s’écria Marie d’une faible voix ; arrivés déjà ! que ne suivons-nous ce