Page:Beaumont - Marie ou l’esclavage aux États-Unis, éd. Gosselin, 1840.djvu/183

Cette page n’a pas encore été corrigée

Cette halte qu’il nous avait engagés de faire n’était-elle point conseillée par la trahison ? Si les Indiens nous attaquaient, quelle résistance pourrai-je leur opposer ? Comment défendrais-je Marie ? Placés entre ces sauvages et des espaces inconnus, toute fuite nous était impossible : les plus sinistres pensées remplissaient mon âme. Ma frayeur s’augmenta lorsque je vis Onitou s’entretenir familièrement avec ceux qui marchaient en tête de la troupe. Bientôt toute une tribu d’Indiens s’offrit à nos regards : hommes, femmes, enfants, bagage, fortune, foyer domestique, tout était là.

Ici s’avançait une jeune femme portant son enfant sur son dos ; on en voyait une autre se séparer de la bande, et assise au pied d’un vieux chêne, présenter sa mamelle à son nouveau-né ; çà et là des Indiens se glissaient, comme des bêtes fauves, parmi les lianes, à la recherche de quelques fruits sauvages ; d’autres s’arrêtèrent sous nos yeux, et prenant la prairie pour salle de festin, se rangèrent autour d’un feu allumé à la hâte, au-dessus duquel ils suspendirent les chairs encore palpitantes d’un chevreuil et d’un élan. À mesure qu’ils passaient près de Marie, je les regardais avec ce sourire forcé que prend la crainte, quand elle affecte la confiance. Tous portaient sur leurs figures une expression farouche et sauvage. Le plus grand nombre feignaient de ne pas nous voir. Quelques-uns nous jetaient un regard d’orgueil et de mépris. Un seul, en nous voyant, sourit gracieusement ; mais ce fut un éclair passager. Son visage redevint tout-à-coup dur et sévère.

J’ai su depuis que ces Indiens, de la tribu des Ottawas, qui vit au Nord du Michigan, étaient venus à Détroit pour se rendre au Canada ; et que là, ayant appris l’arrivée des Cherokis, et leur départ pour Saginaw, ils s’étaient remis subitement en route, afin de précéder ces nouveaux venus au lieu de leur débarquement, et d’observer leur invasion.

Nous continuâmes notre route sans encombre, et j’appris à voyager parmi les sauvages du Nouveau-Monde avec plus de sécurité que je ne faisais chez quelques peuples européens d’antique civilisation. Le jour approchait de son déclin ; nos ombres et celles de nos chevaux s’allongeaient à notre droite. À l’extrémité de la prairie, nous retrouvâmes la forêt. Peu