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Cependant ces impressions graves et sinistres ne furent point de longue durée. Après une course de quelques heures durant laquelle nos chevaux égalaient à peine la vitesse de l’Indien, celui-ci s’arrêta. Je lui offris un peu de cette liqueur de vie, que les hommes de sa race, dans leur langage figuré, appellent l’eau de feu. Il en but, et sa physionomie prit tout-à-coup une expression si bienveillante, son regard naturellement sévère devint si doux, que je fus rassuré pour toujours. La forêt elle-même perdait de ses terreurs et s’offrait à nos yeux sous un riant aspect. À quelques milles au-delà de Pontiac, commence une délicieuse contrée : mille collines s’y succèdent formant autant de vallons dans lesquels une multitude de lacs répandent une éternelle fraîcheur, et présentent à l’œil les plus charmants paysages.

En parcourant ces belles forêts, si pleines de vie, si imposantes de vieillesse et si voisines du monde civilisé, il me semblait entendre des échos mystérieux raconter leur grandeur passée, et prédire leur prochaine destruction.

Oh ! comment vous peindrai-je l’enthousiasme dont mon âme fut saisie ? Nous nous avancions, Marie et moi, dans le silence et le recueillement, attentifs aux beautés que la nature offrait en foule à nos regards, veillant sur toutes nos émotions pour jouir de chacune d’elles. J’étais assez près de Marie pour que ma main pressât la sienne ; ainsi nous allions au désert, appuyés l’un à l’autre, elle sur ma force, moi sur son amour, partagés entre les sensations d’une scène sublime, et nos tendres sentiments encore accrus par les spectacles de la nature. Que d’images ravissantes offertes à nos yeux ! Quel trouble délicieux dans nos âmes ! Comme la douce impression du présent s’accordait bien avec nos charmants rêves d’avenir ! À peine arrivés à Saginaw, Marie serait mon épouse chérie ! Ainsi ma bien-aimée marchait, sous ma conduite, à l’autel nuptial, au travers de mille fleurs écloses sous nos pas, de mille feuillages suspendus sur nos tètes, sous une voûte de soleil, d’ombre et de verdure… Heureux, hélas ! que l’horizon nous fût caché ! car sans doute il contenait des orages !

Etranges mystères de notre nature ! le sommet imposant de la montagne abaisse l’orgueil de l’homme ; le tumulte d’une mer grondante repose l’âme ; et, dans le silence de la forêt