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de bonheur dans l’autre ; nous ne serons plus troublés par nos consciences, si nous en faisons des chrétiens. »

Ainsi disait Nelson, et j’écoutais ses paroles avec recueillement, parce que si voix était celle d’un homme juste.

« Vous qui sympathisez avec leur malheur, hâtez-vous, me disait-il encore, de les voir et de les plaindre ; car ils auront bientôt disparu de la terre. Les forêts du Michigan leur sont livrées à perpétuité… Oui, ce sont les termes du traité : mais quelle dérision ! Les terres qu’ils occupaient jadis, et dont on vient de les chasser, leur avaient été concédées aussi pour toujours. Leur nouvel asile sera respecté tant qu’il n’excitera point l’envie de leurs ennemis ; mais le jour où la population américaine se trouvera trop serrée dans l’Est, elle se rappellera que le Nord du Michigan est une riche et belle contrée. Alors un nouveau traité sera conclu entre les États-Unis et les Indiens, et il sera démontré à ceux-ci que leur intérêt bien entendu est d’abandonner leur nouvelle retraite et d’en aller chercher une autre encore plus loin. Mais à force de s’avancer vers l’Ouest, ils rencontreront l’Océan Pacifique : ce sera le terme de leur course ; là ils s’arrêteront comme on s’arrête au tombeau. Combien de jours de marche leur faudra-t-il pour atteindre le but fatal ? je ne sais ; mais on les a déjà comptés. Chaque vaisseau d’émigrants, vomis par l’Europe engorgée de population, grossit la phalange ennemie qui s’avance, hâte sa course, précipite la fuite des vaincus et accélère l’heure de la catastrophe. Après avoir stationné dans le Michigan, ces Indiens seront rejetés par-delà les montagnes rocheuses : ce sera leur seconde étape ; et lorsque, grandissant toujours, le flot européen aura franchi cette dernière digue, l’Indien, placé entre la société civilisée et l’Océan, aura le choix entre deux destructions : l’une, de l’homme qui tue ; l’autre, de l’abîme qui engloutit. »

Tandis que Nelson et moi parlions théoriquement des Indiens et de leur misérable sort, Marie ne prenait à nos discours qu’un faible intérêt ; mais à l’aspect de leur infortune elle fut bien plus émue que nous. Nous raisonnions ; elle pleura.