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La physionomie de ces malheureux était impassible ; cependant on y pouvait deviner le sentiment d’une grande infortune.

Comme on donnait le signal du départ, nous remarquâmes un groupe d’Indiens qui s’avançaient vers le port ; ils étaient encore plus graves, plus recueillis que les autres, et marchaient d’un pas plus lent. L’un d’eux paraissait s’incliner comme s’il eût plié sous un fardeau. À son approche, tous se rangeaient pour faciliter son passage. Enfin nous distinguâmes au milieu de la foule un vieillard décrépit, courbé sous la charge des années ; son front chauve, ses bras desséchés, son corps vacillant, le rendaient plus semblable à un spectre qu’à un être vivant. D’un côté, deux vieillards le soutenaient, dont les épaules affaissées et tremblantes semblaient moins destinées à prêter un appui qu’à le recevoir ; de l’autre, il se penchait sur deux femmes : la première, à cheveux blancs ; la seconde, plus jeune, portait un enfant suspendu à son sein. C’était le patriarche de la tribu ; il avait vécu cent vingt années. Etrange et cruel destin ! cet homme, si voisin du sépulcre, ne laisserait pas ses ossements parmi les ossements de ses pères, et, proscrit séculaire, il allait, dans l’âge de la mort, à la poursuite d’une patrie et d’un tombeau. Cinq générations l’entouraient et s’en allaient avec lui. L’infortune de tous n’égalait point la sienne. Qu’importe l’exil à l’enfant qui naît ? Pour qui a de l’avenir, c’est une patrie qu’un monde nouveau.

Il n’existait alors, entre Buffaloe et le Michigan, aucune communication régulière. C’était donc une rencontre doublement heureuse pour nous que celle des Indiens dont Nelson était l’ami, et l’occasion d’un bateau à vapeur prêt à partir pour le lieu même que nous avions indiqué d’avance comme terme de notre course.

Nous prîmes place sur le bâtiment parmi les Cherokis. Pendant la traversée de Buffaloe à Détroit, Nelson m’entretint longuement du sort de ces peuplades, jadis si puissantes, aujourd’hui si abaissées ; il en parlait sans l’enthousiasme des hommes d’Europe et sans préjugés américains. Parmi les paroles qu’il me fit entendre, je me suis toujours rappelé celles-ci : « On croit, me disait-il, que nous exterminons par