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son généreux dévoûment. Il y eut entre eux et lui une reconnaissance touchante, et ce fut une occasion de joie pour toute la tribu. Nelson vit dans cette rencontre une sorte d’arrangement providentiel, et il nous dit : « Le ciel a entendu mes vœux ; il envoie au-devant de moi les infortunés vers lesquels j’allais… Ne dois-je pas à un témoignage éclatant de sa toute-puissance le bonheur de retrouver les malheureux dont une odieuse persécution m’avait séparé ? L’infortune nous réunit… maintenant nous ne nous séparerons plus… la communauté des misères fait naître un lien plus solide que celle des prospérités… »

Cependant notre intérêt pour les pauvres exilés s’accrut, lorsque nous entendîmes les réflexions que leur départ inspirait aux Américains.

« Enfin, disait l’un, ces misérables se retirent ! on ne les a que trop long-temps supportés parmi nous. Quel produit tiraient-ils des fertiles contrées qu’ils abandonnent ? Le plus habile d’entre eux n’a jamais travaillé dans une manufacture ; et tous aiment mieux une forêt qu’un champ de blé ! !

— « Fort heureusement, reprit un autre, le bon sens américain triomphe des déclamations des philantropes, des quakers et des presbytériens. »

Un troisième ajouta :

— « Ces sauvages ne sont-ils pas trop heureux ? ils vont trouver dans le Michigan une riche contrée, de grandes prairies, d’immenses forêts ; et tout cela leur est concédé à perpétuité ! »

Pendant que nous entendions ces discours attristants, nous étions témoins d’un spectacle plus affligeant encore : c’étaient les apprêts du départ. Le bord du lac Erié était couvert d’Indiens à moitié nus, de petits chevaux à longues crinières, de chiens chasseurs et demi-sauvages, de longues carabines, de vieilles hardes ; tout cela gisait pêle-mêle sur la plage.

Il y a quelque chose de profondément triste dans l’adieu d’un homme à sa patrie, mais un peuple entier qui part pour l’exil présente une scène tout à la fois douloureuse et solennelle.