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individuelle : l’homme isolé marche seul dans sa force et dans sa liberté.

« Dans nos pays de vieille civilisation, l’impotent dont le corps languit, le lâche qui n’a point d’âme, l’imbécile qui n’en a pas plus qu’un reflet, sont les forts de la société, pourvu qu’ils soient nés riches : ils brillent, ils commandent, ils gouvernent. Il n’est pas de poltron qui n’achète du cœur avec de l’or : les honneurs, les distinctions, la gloire même, se vendent comme une denrée.

« J’ai vu des idiots que servaient cent hommes intelligents appelés valets. S’ils fussent nés rois, ils eussent été servis par des peuples.

« Chez l’Indien, au contraire, l’intelligence est au chef, l’énergie à l’homme fort, la faiblesse à l’infirme ; et l’on n’achète pas plus l’énergie musculaire que la puissance morale.

« Ainsi la raison elle-même nous chasse du pays que nous haïssons, et nous pousse vers la nouvelle patrie qu’a choisie notre cœur…

— « Oh ! oui, s’écria Marie cédant à la conviction dont elle me voyait pénétré… mais mon père ! !… »

Je répliquai : « Nelson nous aime tendrement : partout où nous irons, ses bénédictions et ses vœux suivront nos traces… d’ailleurs, infortuné lui-même, ne sera-t-il pas jaloux de partager notre retraite ? »

Nelson entendit sans le plus léger signe d’émotion la communication de mes projets ; il réfléchit profondément, et puis il me dit : « La résolution que vous proposez est extrême, mais notre position l’est aussi ; je ne me séparerai point de vous, mes enfants. Pendant qu’au désert vous serez occupés de votre bonheur, j’aurai, moi, d’autres soins à remplir. J’ai toujours compati à la misère des Indiens, dont l’ignorance fait la faiblesse ; un grand nombre parmi nous sont durs et persécuteurs envers ces infortunés. Le Ciel, qui ne me permet pas de jouir ici du bien-être et de la sécurité, m’avertit sans doute que ma place est marquée ailleurs, et je ferai encore une œuvre utile à mon pays en travaillant à réparer ses injustices… »

Il réfléchit de nouveau, et poursuivit ainsi : « Nous allons