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Une lueur d’espérance vint briller à mes regards. « La milice ! la milice ! » crièrent quelques insurgés. — « Que nous importe ! répondirent les autres ; la milice n’oserait pas tirer sur le peuple américain ! »

Un corps de miliciens arrivait en effet avec la mission de rétablir la paix publique ; mais il était entièrement composé d’hommes blancs qui se souciaient peu des gens de couleur. Au lieu d’arrêter la fureur populaire, ils se mirent à contempler ses excès. Leur présence impassible ne fit qu’accroître la fureur des assaillants qui parcouraient l’intérieur du temple, brisant, saccageant tout, les meubles, les ornements du culte, la chaire sacrée, l’autel même. Toutes les issues étaient gardées, pour que nul ne pût se soustraire à leurs violences. Dans cette extrémité, recommandant au ciel la sainte cause de l’innocence et du malheur, je me précipite au milieu d’une multitude effrénée, à travers mille cris de douleur et de vengeance, élevant dans mes bras Marie, pâle et échevelée, et n’ayant pour me protéger d’autre secours que l’énergie de ma volonté, la force de mon amour, et ma foi dans la justice de Dieu. Ah ! je fus intrépide et puissant ! je ne sais si ce fut un effet de mon audace ou d’une céleste protection : mais un passage s’ouvrit devant moi. Marie était si belle dans son effroi, que j’attribuai d’abord à la fascination de ses charmes l’impuissance de nos ennemis ; cependant quel respect la plus noble créature inspirerait-elle à l’impie qui outrage Dieu dans son temple ? Je n’avais plus à franchir que la dernière issue : c’était le passage le plus dangereux. Agité de mille terreurs, placé entre l’obstacle que je voyais devant moi et l’impossibilité de demeurer immobile, ne trouvant que périls autour de moi, je m’élance… En ce moment, je vois se lever les bras des meurtriers… Marie va tomber sous leurs coups… Alors il me semble que la voûte du ciel s’affaisse sur moi, en même temps que la terre entr’ouvre son sein pour m’engloutir. Cependant mon élan suit son cours ; je ne puis plus le retenir, et, dans cet entraînement de mon corps, j’ai la conscience qu’en voulant sauver une tête chérie, je la livre à ses bourreaux ! !

O mon Dieu ! qu’en ce jour ta puissance et ta miséricorde furent grandes ! À l’instant même où je précipitais dans l’abîme