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que ta bonté est grande puisque tu nous conserves le cœur de ce digne jeune homme ! »

Mes paroles jetèrent Marie dans une situation impossible à décrire. L’expression de mes griefs contre la société américaine lui avait donné le change sur mes sentiments intérieurs ; et, quand mes derniers accents lui eurent révélé le seul désir de mon cœur, je la vis passer subitement de l’extrême douleur à cet excès de joie qui s’annonce aussi par des larmes ; tombant à genoux, elle rendit grâces à Dieu dans l’attitude du criminel qui, ayant reçu des hommes un pardon inespéré, joint ses deux mains en regardant le ciel.

Nelson ajouta : » Généreux ami, c’est le signe d’une âme grande et forte d’être attiré par le malheur. Je ne combattrai plus vos nobles élans ; j’admire votre vertu, et ne me crois point digne de la diriger. » En disant ainsi, il se jeta dans mes bras, et me serra étroitement contre son cœur ; puis, prenant ma main et celle de Marie : « Ma fille, lui dit-il en faisant signe de nous unir, Ludovic sera votre époux. » — « O mon Dieu ! s’écria cette charmante fille, tant de bonheur n’est-il pas un rêve ? » Elle n’ajouta rien à ces paroles, se tint appuyée au bras de Nelson et parut recueillir ses sentiments dans une extase de félicité.

Cependant, impatient de voir s’accomplir le plus cher de mes vœux, j’obtins de Nelson qu’il fixât le jour de mon union avec sa fille. — « Dans quelques jours, me dit-il, je vous nommerai mon fils. Il fut un temps, peu éloigné de nous, où, selon les lois de l’État de New-York, le mariage d’un blanc avec une personne de couleur était impossible ; mais aujourd’hui la prohibition n’existe plus : de semblables alliances se font quelquefois…

« Un ami de notre hôte, le révérend John Mulon, ministre catholique, que sa philantropie pour la race noire rend cher aux presbytériens eux-mêmes, vous mariera d’abord selon les rites de l’Église romaine, à laquelle vous appartenez ; ensuite James Williams, ministre presbytérien, donnera à votre union la sanction du culte que ma fille professe. Naguère encore des mariages de cette sorte eussent excité dans la population américaine de vives rumeurs… mais l’esprit public s’éclaire chaque jour, et les haines meurent