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me réduire au désespoir… Et ses larmes coulèrent avec abondance.

Méprisant ces menaces de la douleur, l’Indien annonça hautement son nouvel hymen, et fit préparer un grand festin, auquel il convia toute la tribu.

Le jour suivant, dès que les apprêts de la fête commencèrent, Onéda sortit de sa hutte, alla s’asseoir à quelque distance ; pensive et désolée, elle semblait étrangère à ce qui se passait autour d’elle, son regard immobile et sombre annonçait qu’elle roulait dans sa tête quelque dessein funeste.

Tous les Indiens étant réunis, ou voit arriver Mantéo, sa fiancée, et les familles des deux époux, qui s’avancent à travers mille cris d’allégresse. Une seule douleur parmi ces joies eût été importune ; aussi nul ne pensait à Onéda, si ce n’est peut-être Mantéo, qui étouffait son souvenir comme un remords.

Cependant, au milieu de la fête et de ses bruyants éclats, on vit une jeune femme gravir lentement le sentier qui conduit à la cime du rocher. Bientôt on reconnut Onéda qui, parvenue au sommet, appela Mantéo d’une voix forte, en déplorant son inconstance et sa cruauté ; le léger vent qui soufflait en ce moment apportait ses paroles jusqu’au lieu du festin… Alors on l’entendit chanter d’une voix lamentable le bonheur dont elle avait joui lorsqu’elle possédait toute l’affection de son époux… On vit bien que c’était son hymne de mort… Ces deux souvenirs, apportés par la brise à l’âme de Mantéo, le son de cette voix encore chère, le contraste de ces accents sinistres avec les chants joyeux de la fête, saisirent l’Indien d’une émotion profonde et d’un remords déchirant… Il s’élance vers le rocher, il appelle Onéda, lui jure qu’il n’aime, qu’il n’aimera jamais qu’elle… Tandis qu’il parle ainsi, ses pieds touchent à peine la terre, et gravissent la roche escarpée. Tous les convives s’approchent de la scène ; la pitié, la terreur, sont dans toutes les âmes. Des Indiens, qui ont deviné l’intention fatale de la jeune femme, se hâtent d’arriver au pied du rocher, afin de la recevoir dans leurs bras. Chacun crie vers elle, et la conjure, dans les termes les plus tendres, de ne pas exécuter son projet. Déjà Mantéo a gagné le sommet de la roche :