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et forme comme le point central autour duquel viennent se ranger tous les développements.

Le lecteur n’ignore pas qu’il y a encore des esclaves aux États-Unis ; leur nombre s’élève à plus de deux millions. C’est assurément un fait étrange que tant de servitude au milieu de tant de liberté : mais ce qui est peut-être plus extraordinaire encore, c’est la violence du préjugé qui sépare la race des esclaves de celle des hommes libres, c’est-à-dire les nègres des blancs. La société des États-Unis fournit, pour l’étude de ce préjugé, un double élément qu’on trouverait difficilement ailleurs. La servitude règne au sud de ce pays, dont le nord n’a plus d’esclaves. On voit dans les États méridionaux les plaies que fait l’esclavage pendant qu’il est en vigueur, et, dans le Nord, les conséquences de la servitude après qu’elle a cessé d’exister. Esclaves ou libres, les nègres forment partout un autre peuple que les blancs. Pour donner au lecteur une idée de la barrière placée entre les deux races, je crois devoir citer un fait dont j’ai été témoin[1].

La première fois que j’entrai dans un théâtre, aux États-Unis, je fus surpris du soin avec lequel les spectateurs de

  1. Quelques personnes m’ont paru regretter que j’aie exposé, dans l’avant-propos, un fait dont la révélation affaiblit, disent-elles, l’intérêt du roman. Voici le motif qui m’a fait agir :
    L’odieux préjugé que j’ai pris pour sujet principal de mon livre est si extraordinaire et tellement étranger à nos mœurs, qu’il m’a semblé qu’on croirait difficilement en France à sa réalité, si je me bornais à l’exposer dans le texte d’un ouvrage auquel l’imagination a eu quelque part. Ne serait-on pas enclin à regarder les développements que je présente comme les accessoires d’une fiction arrangée selon mon bon plaisir ? — Bien résolu d’offrir à mes lecteurs un tableau fidèle et sincère, j’ai dû les prévenir de la vérité de mes peintures, et leur montrer d’abord, dans toute sa nudité, le préjugé que j’allais décrire, et dont je ferais ressortir les tristes conséquences sans les exagérer. Malgré cette précaution, plus d’une personne m’a demandé si l’antipathie des Américains contre les gens de couleur était vraiment portée au degré de violence que j’indique dans mon livre ; ceux qui m’ont adressé cette question m’ont prouvé combien est utile la notion que je donne dans l’avant-propos.
    (Note de la seconde édition.)