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cependant il ne remplissait plus seul mon âme. Je croyais encore à l’avenir heureux ; mais non plus à cet avenir immense de bonheur que la sœur de Georges m’avait fait entrevoir. il y a dans l’amour d’un jeune cœur une bonne foi d’espérance qui se rit des tempêtes et qu’un souffle d’infortune suffit pour dissiper. Au temps de mes illusions, j’admettais à peine que, dans la coupe délicieuse de l’existence, il se rencontrât un peu d’amertume ; maintenant j’étais prêt à rendre grâce à Dieu, si, dans le calice amer de la vie, je trouvais quelques gouttes de félicité.

Mon cœur était plein de Marie, mais mon amour pour elle était inséparable de la crainte trop légitime des maux qui nous menaçaient. Mes inquiétudes renaissaient plus vives, mes douleurs plus cruelles et mes hésitations elles-mêmes osaient se représenter à mon esprit.

Il se passait en moi quelque chose d’étrange : l’approche de mon union avec celle que j’aimais m’épouvantait, et cependant les deux derniers mois d’épreuve me pesaient d’un poids accablant.

Je me sentis alors dévoré par une fièvre ardente de méditations et de rêveries ; mille projets se succédaient dans ma pensée, aussitôt abandonnés que conçus. J’étais tout à la fois la proie d’une accablante oisiveté et d’une activité morale qui ne me donnait point de relâche ; le vide de mes jours se remplissait de tourments, de soucis et d’agitations ; ce n’était plus ce vague de l’âme qui se sent mille appétits, sans avoir de quoi se nourrir, et qui, faute d’aliments, se dévore elle-même ; mes passions allaient à leur but ; mon destin était fixé, destin de joie et de souffrances confondues ensemble. Mais je n’avais pas même la ressource du malheureux que sa propre douleur occupe, n’étant en possession de rien, sinon de mes ennuis, des longueurs du présent et des attentes de l’avenir.

Les yeux attachés sur cet avenir ténébreux, j’essayais d’en pénétrer les mystères ; mais en vain. Le dernier effort de ma vue était d’apercevoir dans le lointain un mélange de biens et de maux. Je ne pouvais aimer Marie sans bonheur, ni vivre dans la société américaine avec une femme de couleur sans d’affreuses misères : mais quelle serait la somme des peines