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Baltimore, Georges en était parti pour venir à New-York. Après m’avoir raconté ces tristes événements, le fils de Nelson m’entretint longuement de sa sœur. Je ne me lassais point de l’entendre et de l’interroger… il me dit de Marie des choses si touchantes, que j’eus honte de mes incertitudes. J’oubliai les funestes chances de l’avenir, pour ne penser qu’à mon amour… c’est d’ailleurs un lien puissant que l’estime d’un ami ! Georges, si sincère, si confiant dans mes sentiments pour sa sœur, m’enchaînait plus par sa droiture qu’il ne l’eût pu faire par la ruse et par l’habileté.

Je ne tardai pas à remarquer dans la physionomie de Georges quelque chose d’extraordinaire : son langage, ouvert et naturel quand il me parlait de sa famille, devenait mystérieux et embarrassé dès que notre conversation prenait un tour plus général. Des réticences, des exclamations brèves, des mouvements soudains et comprimés, tout annonçait en lui le travail intérieur d’un sentiment profond qu’il s’efforçait vainement de renfermer en lui même. Je ne fus pas long-temps sans comprendre que le trouble dont je le voyais agité se rattachait à sa position d’homme de couleur. Quelques-unes de mes observations sur la misère des noirs l’avaient fait tressaillir, et, comme je lui peignais avec émotion les injustices que j’avais remarquées dans la société américaine, j’aperçus une ombre de sourire errer sur ses lèvres, et, saisissant ma main, il me dit d’une voix ferme : « Ami, prenons courage, nous verrons des temps meilleurs… les jours de liberté ne sont pas loin… l’oppression qui pèse sur nos frères de Virginie est à son comble… la même tyrannie poussera les Indiens à la révolte… bientôt… » Et, comme s’il eût regretté d’avoir dit ces mots, il s’arrêta tout-à-coup ; son visage devint sombre, son regard terrible. Il avait cessé de parler, mais sa pensée suivait son cours. Je l’interrogeai : « L’avenir, me dit-il d’un ton mystérieux, un avenir prochain vous répondra. » Ces paroles, et l’accent dont il les avait prononcées, étaient propres à m’inquiéter ; cependant Georges écarta ce sujet. Alors nous nous abandonnâmes à ces doux entretiens que l’amitié seule connaît, et dont l’amour peut seul fournir le texte. Il est si rare de rencontrer un ami qui comprenne les mystères du cœur !