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En tournant mes yeux à ma gauche, j’aperçus dans le lointain le rocher de Sandy Hook : c’est de là qu’on voit arriver les navires qui viennent d’Europe et du Maryland… la France et Baltimore !… mon père et Marie ! !… ma patrie ! Mon amour !… et je me perdis dans une de ces rêveries plus douces aux sens qu’à l’âme, où, en présence des beaux spectacles que donnent une nature brillante et féconde, une société riche et prospère, une mer calme sous un beau ciel, l’infortuné ne cesse pas de souffrir dans le fond de son cœur… L’air que je respirais était bienfaisant et pur ; mille objets récréaient ma vue, souriaient à mon imagination ; mille sensations délicieuses s’emparaient de mon corps… j’étais heureux, mais d’un bonheur qui restait à la surface ; les impressions ne faisaient que m’effleurer : elles s’efforçaient vainement de pénétrer dans mon sein. Il n’est point, hélas ! de joies profondes pour l’homme qui porte en lui-même le deuil de sa patrie absente, l’inquiétude de son amour et le vague de son avenir !

Je ne sais quel eût été le terme d’une méditation engagée dans la mélancolie : tout-à-coup je me sentis saisi par la main ; je me retourne brusquement et me trouve serré dans les bras de Georges… de Georges que j’aimais si tendrement ! car j’aimais en lui l’homme généreux et le frère de Marie. Le plus grand nombre nous fuit par instinct quand nous sommes malheureux ; mais pour un ami l’infortune est aimantée.

Georges arrivait de Baltimore ; il m’apprit de tristes événements passés pendant mon absence, et qui me prouvèrent combien le malheur était opiniâtre à poursuivre sa famille.

Il existait encore à cette époque dans la Géorgie quelques restes de tribus indiennes du nom de Chéroquis ; fidèles à leurs forêts natales, ces sauvages avaient toujours refusé de les quitter, et, dans plusieurs occasions, le gouvernement des États-Unis s’était engagé solennellement à les y maintenir. Cependant l’Américain de la Géorgie les voyait d’un œil jaloux en possession d’un sol fertile qui, pour donner de riches moissons, ne demandait qu’un peu de culture ; il entreprit donc de les expulser de leurs terres, et sa cupidité fut ingénieuse à leur susciter mille querelles.

La cause des Indiens était doublement sacrée, car c’était celle de la justice et du malheur ; ces pauvres sauvages, dans