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SUITE DE L’EPREUVE.

2.

Depuis ce moment, je l’avoue, la société américaine perdit son prestige à mes veux ; la nature elle-même, qui d’abord m’avait paru si brillante, me sembla décolorée ; les plus beaux jours, comme les plus beaux sites, furent sans charmes pour moi ; toutes les choses extérieures deviennent indifférentes à celui que tourmente une secrète infortune, jamais je ne sentis mieux cette vérité qu’un jour où, parcourant les environs de New-York, je me pris à contempler sans émotion un sublime spectacle.

En face de moi se déroulaient au loin les riches campagnes du Nouveau-Jersey, tout éblouissantes de moissons dorées et fleuries ; à mes pieds une baie majestueuse qui s’emplit à deux sources dignes de sa grandeur, l’Hudson et l’Océan ; mille vaisseaux flottants ou enchaînés dans le port ; des pavillons de toutes couleurs hissés aux sommets des mâts, et formant comme un grand congrès de toutes les nations du monde ; le phénomène des voiles qui se croisent, enflées par le même vent ; le prodige de la vapeur laissant loin d’elle et les vents et les voiles ; le mouvement du commerce, le bruit de l’industrie, l’activité humaine rivalisant avec la nature d’éclat et de variété ; et, pour fond de ce tableau magnifique, la cime bleue des montagnes qui bordent la rivière du Nord… Ainsi s’offrait à moi d’un seul coup la triple merveille de la nature fertile, de la richesse industrielle et de la beauté pittoresque ; sur la terre, le laboureur et sa charrue ; le marchand et ses vaisseaux sur l’onde ; dans le ciel, les hauts sommets avec leurs aigles : triple emblème des besoins de l’homme, des conditions de son bien-être et de l’audace de son génie !