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le château vert

sur le large môle qui s’avance dans la mer, et qu’on appelle le « Bras-de-Richelieu », deux femmes, coquettement vêtues de clair, arrivaient à leur rencontre. Il était encore impossible, parmi le frissonnement de la lumière et des sables, de distinguer leur visage. Tout à coup, sur la marge dorée où s’épanche la vague, elles s’arrêtèrent et, après une seconde d’hésitation, elles déguerpirent en un train de panique.

— Philippe, s’écria Barrière, vous les avez reconnues ?

— Parbleu ! Thérèse et sa mère.

— Est-ce moi qui leur fait peur ? dit Mariette.

— Elles sont jalouses. Cette maladie leur passera.

À voix basse, Philippe ajouta :

— Vous êtes à moi, Mariette. Notre amour ne dépend de personne.

— Je suis pourtant désolée que notre mariage occasionne une rupture entre vos amis et vous !

— Mes amis ?… Est-ce bien sûr ?

Mariette, d’un élan involontaire, se pressa contre son fiancé, comme si elle eût craint de céder, sur le bord des dalles, au vertige de l’eau grondante. Philippe la caressa, de tapes gentilles à la main, au poignet qu’elle avait nu. Au loin, dans le désert de l’espace, le soleil, qui depuis un moment était suspendu sur Agde, jeta soudain une écharpe de pourpre sur la mer moutonneuse.

À l’extrémité du môle, ils demeurèrent en extase, dans le bruit rythmé du flot, qui perçait doucement la pensée. Puis, d’un pas tranquille, ils s’en retournèrent au Cap reprendre le chemin de la ville. Barrière marchait toujours au-devant des fiancés, qui parfois échangeaient un regard, un sourire, contents d’avoir vécu ensemble cette belle après-midi de dimanche et aussi d’avoir mis en déroute Thérèse Jalade et sa mère.


CHAPITRE XII

Depuis plus de dix jours qu’était officiellement annoncé le mariage de Philippe, on ne savait plus au Château Vert quelle attitude adopter à vis-à-vis des Ravin. Si l’on rompait toutes relations, Ravin possédait, hélas ! de quoi se venger, et sans délai. D’autre part, on redoutait les