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le château vert

— Allons, avec tous nos éléments de fortune, tu ne devrais pas te désespérer.

Irène le saisit par les bras et tendrement le baisa au front. Ils étaient l’un et l’autre d’une taille au-dessus de la moyenne, le teint rose, les cheveux châtains, et de figure presque jolie. Irène, qui avait en ses yeux bleus, quand elle voulait, une douceur languissante, savait l’empire absolu qu’elle possédait sur son mari. Si elle lui recommandait d’avoir confiance en l’avenir, et à l’heure même où les menaçait quelque épreuve, elle ne mentait pas. Car, pareille à l’oiseau qui attend chaque jour du bon Dieu sa pâture, elle était douée de la plus rare insouciance. Benoît également voyait d’ordinaire la vie facile, dans cet hôtel où il avait vécu toujours heureux. Aussi, pour ne pas troubler la sérénité de leur existence, n’osait-il pas reprocher à Irène l’excès de ses dépenses en toilettes et en promenades.

Il se retirait de son étreinte, lorsque la porte de leur salle à manger s’ouvrit. Leur fille, Thérèse, apparut, une enfant gâtée, un peu gamine, qui se croyait belle, malgré son nez trop long et ses lèvres trop grosses. À vrai dire, le brillant velouté de ses yeux noirs, l’éclat bronzé de sa peau, prêtaient un certain charme à la fraîcheur de ses seize ans. Thérèse était pour ses parents le trésor de leur amour. Et elle abusait de leur complaisance en souveraine.

Coiffée d’un chapeau neuf qui ne laissait guère à découvert que l’extrémité de ses cheveux courts, une ombrelle à la main, elle s’avança vers son père en minaudant :

— Toi ! lui dit-il. Tu viens nous demander quelque chose.

— Oui. Je m’en vais à Agde.

— À Agde !… Et pourquoi ? Nous allons bientôt déjeu­ner.

— Jacques me conduira en auto chez les Ravin.

— Tu vas trop souvent chez nos amis, petite. Les gens finiront par s’étonner que nous te laissions aller si libre­ment dans une maison où il y a un jeune homme à marier.

— Je me moque bien des gens ! Et puis, je suis chez les Ravin comme chez moi.

— Si tu veux me faire plaisir, tu renonceras désormais à ces visites imprévues. Les Ravin sont trop riches.

— Pas pour nous.

D’une brusque pirouette Thérèse s’éloigna, en marmon­nant, de méchante humeur.