Page:Beaume - Le château vert, 1935.pdf/74

Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
le château vert

ai accompli cet exploit, si exploit il y a. La famille de Sérignan en garde toujours le souvenir. Elle est pour moi, pour les miens, aimée de l’affection la plus fidèle. Seulement, ayant gardé aussi le mauvais souvenir d’Agde à cette époque de tempêtes, elle a quitté le littoral, pour se fixer loin d’ici, en Gascogne.

— Le malheur, voyez-vous, c’est que les gens du peuple ne réfléchissent guère et croient plutôt au mal qu’au bien. Ne vaudrait-il pas mieux arrêter des rumeurs qui vous calomnient ?

— Non, laissez jaser le pauvre monde. La vérité s’imposera un jour ou l’autre.

— Vous avez tort. Il faut arrêter le mal tant qu’on le peut.

— Que vous fait cela, voyons ! Vous n’y croyez pas peut-être ?

Tandis que Ravin avec amitié lui posait les mains sur un genou, Barrière redressait le front fièrement, sa rouge figure aux traits bouleversés soudain, aux yeux pers qui s’enfonçaient davantage dans leurs orbites fripées.

— Ne vous fâchez pas, monsieur Barrière. Si j’insiste, c’est que votre femme, votre enfant, quand elles apprendront…

— Elles seront aussi indifférentes que moi à un tel outrage. Il est indigne de moi que je m’en défende.

— Tant pis ! Vous avez tort, mais mon devoir n’était-il pas de vous renseigner.

— Certes ! Et je vous remercie, un homme renseigné en vaut deux.

Barrière, qui avait recouvré son calme, reconduisit Jalade sans bruit, par le couloir. Sur la porte du chemin, il lui pressa les mains longuement :

— Rassurez les vôtres, s’il en est besoin. Moi, cette sottise ne m’empêchera pas de dormir. Tenez, je n’en dirai même pas le moindre mot à cet imbécile de Micquemic : ce serait lui faire trop d’honneur.

Dans la nuit, par le chemin désert, M. Ravin regretta de nouveau que Barrière ne consentit point à manifester la moindre protestation. Et qui sait si dans un pli de sa conscience ne se glissait pas le soupçon affreux qu’il pût y avoir une faute irréparable dans le passé du père de Mariette.

Chez lui, sa femme et son fils l’attendaient avec impatience. Il ne rentrait jamais aussi tard, au moins sans avoir prévenu. C’était presque l’heure du dîner.