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le château vert

— C’est Micquemic qui l’a dit à maman.

— D’un tel individu ça n’a pas d’importance. Personne ne le croira.

Té ! Tu soutiens les Barrière ?

— Ma foi, non. Je ne les connais pas.

— Au moins, ne répète à personne que c’est moi qui…

— Non. Toutes ces médisances, après tout, ne m’intéressent pas. Allons, adieu !

Et l’amie de pension, rappelant sa bonne que tout à l’heure elle avait éloignée dans un groupe de ménagères, se dirigea subitement vers les corbeilles de coquillages. Thérèse, déconcertée un moment, sortit de la marine pour entrer dans la ville aux maisons noires, la plupart délabrées par les intempéries, solides pourtant, bâties de lave. Dès les premiers pas, elle aperçut au seuil de sa boutique une brave femme, nommée Valentine Bourret, ancienne domestique au Château Vert, qui avait préféré s’établir crémière à Agde que de rester au service du monde.

Valentine, à la vue de Mlle Thérèse, qu’elle avait jadis dorlotée tant de fois, s’exclama :

Té ! De si bon matin !… Où allez-vous donc ?

— Chez ma couturière.

— Ah ! bon ! Toujours de jolies robes, les plus jolies du pays, et vous savez ce qu’on m’a appris ? M. Philippe qui se marie avec la demoiselle des Barrière !… Ça ne vous étonne pas ?

— Si, diantre. Beaucoup. Oh ! mais…

De nouveau et dans les mêmes termes qu’à son amie de pension, Thérèse rabâcha son odieux commérage. Mais, chut ! chut !… Il ne fallait rien répéter. On croirait qu’on est jaloux au Château Vert. Après quoi, Thérèse reprit son chemin, tandis que Valentine lui souhaitait bonne chance à l’essayage de sa toilette.

— Soyez toujours la plus gentille, mademoiselle.

Vers midi, Thérèse n’avait pas regagné son auto pour s’en retourner au Grau que sa calomnie ricochait de boutique en boutique, s’insinuait dans les ateliers, dans les cafés, partout, courait au milieu des rues, comme des ruisseaux de la ville qui un jour d’orage roulent de la boue et des immondices.