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le château vert

— Depuis notre absence vous devez avoir du nouveau à nous annoncer, dit-elle.

— Ma foi, répondit d’un élan spontané, involontaire, Mme Ravin. Ma foi oui, il y a du nouveau.

— Ah ! ah !…

— Nous marions Philippe.

— Hein ! Quoi l… Phil…

Irène, haletante de stupéfaction, se jeta d’un bloc sur le dossier de son fauteuil, tandis que Thérèse, une flambée de honte au visage, ne bougeait plus.

— Vous !… Tu maries Philippe, Eugénie ?

— Oui, répondit Philippe, très doux.

— Et avec qui, s’il vous plaît ?

— Avec une jeune fille que vous ne connaissez guère qui depuis quelque temps est notre voisine.

— Je sais !…

Thérèse s’écarta violemment de Philippe comme d’un pestiféré. Benoît allait et venait dans la pièce, n’osant regarder ni sa femme ni la mère de Philippe, qui maintenant avaient l’air de se défier l’une l’autre. C’est qu’il s’alarmait pour l’instant d’après, quand il serait seul avec Irène, de la scène injuste qu’il aurait à subir. Irène, qui voyait sa fille bouleversée, les yeux mi-clos, les mains crispées sur le menton, ne contint plus sa colère.

— Enfin, qu’est-ce que ça signifie, Eugénie ? Quelle est cette folie !

— Fous, nous autres !… Pourquoi ?… Est-ce que Philippe n’est pas en âge de se marier ? Est-ce que les Barrière ne sont pas dignes de nous ?

— Je ne sais pas, bougonna Irène.

Et Thérèse cria de toutes ses forces :

— Non !

— Non ?… Tu dis : non, petite ?… Est-ce que tu sais quelque chose de malhonnête ?… Il ne faut pas injurier si vite.

Thérèse hésita, le front dur, fixant d’un regard méchant la mère de Philippe. C’est que, malgré l’inexpérience de son âge, elle sentait la gravité d’une simple médisance à cette heure.

— Je n’injurie personne, maugréa-t-elle.

— Tout de même, repartit Mme Ravin, je ne comprends pas votre indignation. Philippe est libre, je suppose, d’épouser qui lui plaît.

— Mais alors, riposta Irène, vous n’avez donc jamais