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le château vert

Mme Ravin le récompensait toujours d’un bon pourboire, avait soigné son travail. Elles avaient préparé une vieille bouteille de Frontignan, et parfois, en complices de rêves généreux, elles se félicitaient que la Providence leur eût réservé, dès leur retour de la Côte d’Azur, une après-midi si heureuse.

— Ils veulent sans doute nous inviter à quelque fête de charité, dit Thérèse.

— Qui sait si Eugénie n’a pas l’idée de nous parler de mariage. Car Philippe est tellement timide qu’il n’ose peut-être pas se déclarer lui-même.

— Qui sait ?

À 4 heures, elles reconnurent, au son du clakson, l’auto des Ravin qui s’arrêtait devant le Château Vert. Jalade courut bien vite leur confirmer l’événement ; puis, claquant la porte, il se précipita dehors. Il arriva juste au moment où Philippe offrait la main à sa mère pour descendre de la voiture.

— Bonjour ! salua-t-il, bonjour ! Comment ça va ?

— Très bien, mon ami, répondit Eugénie. Où sont-elles ?

— Au petit salon, qu’elles vous attendent… Té ! les voilà !

On poussa, de part et d’autre, des cris de joie, de remerciements. On s’embrassa, vite, vite. Et vite, qu’on entre au salon, où l’on serait très bien pour causer. Philippe, toujours calme, se laissait presser les mains par Thérèse, toujours en effusion. Tandis que Benoit Jalade, qui resta seul debout, inquiet de la catastrophe si proche, observait les manières chaleureuses des deux mamans, lesquelles à la vérité s’affectionnaient depuis leur enfance. Irène, excitée par l’orgueil de son voyage, en racontait déjà quelque épisode. Eugénie, fort à l’aise, ôtait ses gants, ordonnât d’un doigt minutieux deux ou trois mèches de ses cheveux encore noirs, que François, son mari, lui avait défendu de couper.

— Oui, tu comprends, ce voyage nous était absolument nécessaire. J’ai vu des hôtels, qui sont de vrais palais : service impeccable, distractions du matin au soir. Tout est chic, si chic !…

Puis, avec un geste de dégoût, Irène ajouta :

— Ici nous n’avons qu’une auberge.

— Tu te calomnies, voyons !