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le château vert

Mme Brouilla m’a conseillé d’aller jusqu’à Monaco. Aurais-je été raisonnable de quitter la côte d’Azur sans voir Monaco ?

— Non !… dit-il, blême de peur.

— C’était notre avant-dernier jour. Je n’avais plus de provisions, ou tout juste : Mme Brouilla m’en a prêté. Elle est généreuse, si brave !

— Oui. Après ?

— Après !… Eh bien, c’est elle qui est la cause de mes ennuis. Elle m’a tellement poussée à voir le casino ! J’ai joué, comme tout le monde. Et j’ai gagné, oui, j’ai gagné.

— Ah !

— Oui, c’est ça qui a provoqué tout le mal. L’engrenage, n’est-ce pas ?

Irène pleura d’un flot, que rien ne sembla devoir arrêter. Benoît maugréa :

— Il ne sert plus à rien de te désoler.

— C’est vrai… Que tu es bon !

— Merci du compliment. Mais combien as-tu eu la faiblesse de perdre ?

— La faiblesse !… Tu devrais dire la guigne, l’infâme guigne. Ce n’était pas pour m’amuser que je tentais la chance, c’était pour vous faire du bien à tous.

— Combien as-tu perdu ?

— Hé ! mon ami, j’ai joué en grande dame, naturellement, en dame de mon rang. Après chaque coup de guigne, je comptais me rattraper…

— C’est toujours pareil. Au lieu de se rattraper, on s’enfonce davantage.

— Pechère !

Elle pleura de nouveau. Puis, le mouchoir au visage, elle gronda :

— Dix mille !

— Oh !… Malheureuse !… Nous allons à la ruine !

Elle ne répondit pas tout d’abord, sans force, baissant et relevant son buste en un rythme de pendule, qui berçait sa douleur. Les bras croisés sur sa poitrine, Benoit menaçait des yeux sa femme qui paraissait honteuse, vaincue pour toujours. Mais soudain elle arrêta son rythme de pendule, et à son tour regardant Benoit avec une sorte de défi, elle s’écria :

— Oui, dix mille !… Tu le disais justement tout à l’heure : « Rien ne sert de se désoler ».