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le château vert

CHAPITRE VII

Trois semaines après, Mme Jalade et sa fille débarquaient, par un soir de froid brumeux, en gare d’Agde. Ah ! qu’on s’était amusé à Nice, à Cannes, à Monaco, au milieu des grands de ce monde ! On avait ri, dansé, écouté de la musique, assisté à des courses, à des concours de tennis et même de boxe. Dans la vision de tant de splendeurs, on ne songeait plus que de temps à autre, comme à un orage désagréable, à la perte de 10 000 francs que Mme Jalade avait subie au Casino de Monte-Carlo.

Heureusement, Mme Jalade avait rencontré là-bas, à Cannes, Mme Brouilla, la femme d’un hôtelier, l’un des plus familiers compagnons de son mari dans la cuisine d’un impérial hôtel de la Croisette, autrefois, au temps de leur apprentissage. Cette dame, aujourd’hui millionnaire, avait sans difficulté prêté à la pauvre Irène la même somme de 10 000, que celle-ci de très bonne foi avait promis de rembourser, dès son retour au Château Vert.

Benoît Jalade était allé, comme de juste, attendre ses voyageuses à la gare. Dans l’auto, elles eurent tant de prouesses à raconter, tant de merveilleux palaces, de casinos, de dancings à décrire que, sans accorder le moindre regard à l’antique ville d’Agde mal éclairée ni à son petit port ridicule et désert, on n’eut pas le temps de demander des nouvelles des amis Ravin.

Benoit, parmi le désordre des bavardages, ne se souvenait plus qu’avec répugnance de l’une de ces rumeurs bizarres que chaque jour un vent apporte et qu’un autre remporte, laquelle pourtant affirmait cette extravagance, que Philippe, le cher Philippe, devait épouser la fille des Barrière. Combien, s’il avait annoncé l’horrible nouvelle, il eût contrarié l’allégresse d’Irène ! Et il était, malgré tout, heureux de sentir contre lui sa femme bien-aimée, qui depuis plus de vingt ans le soutenait de ses conseils et de ses espérances !

Quand on entra au Château, les odeurs de la cuisine les rappelèrent tous à l’humble réalité. Les deux voya-