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le château vert

en quittant la table, après midi, aller respirer un moment l’air bienfaisant de la plage. Mais quelle surprise elle eut d’apercevoir, sur la terrasse du Château Vert que la vigne ne défendait plus des rayons du soleil, la belle Mariette, la fille de ce voleur de Barrière, qui, en compagnie de sa mère, prenait à un guéridon de bois une tasse de café !

Chaque jour, en effet, accourait au grau d’Agde une clientèle nombreuse, oisifs de Montpellier ou étudiants, couples d’une noce tapageuse, paysans en fête, que des autos particulières et des autocars amenaient de la plaine ou de la montagne. Le Château Vert récoltait beaucoup d’argent. Aussi, les Jalade dépensaient avec largesse, pour agrandir ou réparer quelque partie de l’établissement, pour acheter de jolis meubles. Thérèse, ainsi que sa mère ne lésinaient jamais pour satisfaire la moindre de leurs fantaisies. Quand Thérèse remarquait chez une cliente de passage, surtout chez une amie, une nouvelle toilette élégante, elle avait la frénésie d’en posséder également une, plus riche. L’une et l’autre affectaient un certain mépris, qui est d’ailleurs l’une des expressions de la jalousie, à l’égard des femmes qui se contentent de leurs charmes personnels pour plaire et qui plaisent presque toujours.

Mariette, qui était sans prétention, sans apprêt, attirait la sympathie, malgré tout, par la vertu de sa beauté et la distinction de sa personne. Thérèse, dès qu’elle l’aperçut, eut un mouvement de recul : au lieu de se diriger vers le quai, elle se réfugia bien vite dans le bosquet de pins. Que venait donc faire au grau cette fille de Barrière ? Chercher peut-être un mari ? Peut-être surprendre des nouvelles de son voisin Philippe ?

Mais, errant à travers le bosquet ébloui de soleil, elle s’impatienta bientôt d’être seule, en proie à une anxiété lâche, qui l’humiliait à ses propres yeux. Alors, se reprochant d’avoir une seconde redouté cette jeune fille, qu’elle ne considérait certainement pas comme son égale par l’origine et par l’éducation, elle s’avança sans hâte vers la terrasse. Mariette la fixa d’un regard pur, et en bonne camarade qui se souvient d’une rencontre récente, elle la salua gentiment :

— Bonjour, mademoiselle. Quel beau temps, n’est-ce pas ? Et quel site délicieux vous habitez !