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le château vert

dominait le magnifique panorama de ciel et d’eau depuis les Pyrénées jusqu’à la montagne de Cette. Nourri de haine contre le monde, qu’il rendait responsable de ses calamités, l’homme n’imaginait que des vilenies, à propos des hommes, ses semblables, et d’un air de sainte-nitouche il salissait de ses bavardages les meilleurs de ses bienfaiteurs.

Donc, passant par le sentier qui grimpe vers la lave, parfois en marche d’escalier, il aperçut au creux de sa cachette la grande enfant immobile, la tête entre les mains. Il s’arrêta :

— J’ai eu peur ! s’écria-t-il. Mais, est-ce que je me trompe, c’est bien la demoiselle du Château Vert ?

— Vous ne vous trompez pas, répondit Thérèse, qui, levant les yeux, reconnut le vieux Micquemic.

— Que faites-vous là ? Vous aurez froid.

— Je me suis querellée avec mes parents. Et je suis partie.

— Vous avez encore le temps de rentrer au Château. Il n’est pas sept heures.

— Non. Je ne rentrerai plus chez moi, on ne m’y aime pas.

Té ! Vous ne ferez croire ça à personne. C’est par amour-propre que vous n’osez pas rentrer… Hé hé ! alors, venez chez moi. On verra ensuite.

— Chez vous, je veux bien.

Elle suivit Micquemic sur le sentier grimpant de la colline. Bientôt, dissipant sa mauvaise humeur au contact d’un être humain qui lui montrait de la compassion, elle l’interrogea :

— C’est du poisson que vous portez dans ce filet ?

— Oui, mademoiselle. Quand les jambes me le permettent, je m’en vais à la pêche. C’est la mer qui nous fournit le plus solide de la subsistance.

Quand ils eurent dépassé le petit poste de la douane, qui était barricadé comme un soir d’hiver, Thérèse interrogea de nouveau :

— On ne vous dérange pas souvent dans votre retraite ?

— Je vous garantis que non.

— Ce ne sera donc pas ici qu’on aura l’idée de venir m’attraper ?

— Non. Cependant, il n’est pas possible que vous laissiez longtemps souffrir votre famille.