Page:Beaume - Le château vert, 1935.pdf/21

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
le château vert

Eugénie monta précipitamment à sa chambre, s’apprêta sans souci de coquetterie, rassembla dans une valise un peu de linge et descendit. À sa vieille cuisinière, qui s’était avancée sur la porte de la cuisine, elle donna ses instructions. Et poussant Thérèse par les épaules, elle gagna l’auto. À peine y était elle assise qu’elle interpella, d’assez mauvaise humeur, Thérèse, qui fermait à peine la portière.

— Dis-moi, petite, comment cela s’est-il passé ?

— Ma foi, si vite que je ne puis me l’expliquer moi-même.

— De Philippe qui est si prudent, un tel accident m’étonne. Est-ce que tu n’aurais pas pu veiller sur lui un peu ?

— Si ! Nous étions tout près l’un de l’autre. Seulement, des fois, quand je lui parle, il ne m’écoute pas. En tout cas, je n’y suis pour rien.

Eugénie ne répondit mot, se détourna de Thérèse, pour épier au loin l’horizon de la mer, et ne songeant qu’à l’insouciance, après tout redoutable, des gens du Château Vert. Ces brigands-là ne pouvaient décidément vivre que dans l’inquiétude, comme les poissons dans l’eau. Encore s’ils ne faisaient du mal qu’à leurs personnes, tant pis pour eux, pardi ! Mais ils ne permettaient pas aux autres de rester tranquilles. Ah ! mon Dieu, quelle patience il fallait avoir ! Et Eugénie exhalait des soupirs d’affliction, maugréait des mots de colère, au point que Thérèse, affligée davantage, osa d’un geste de filiale tendresse lui saisir le bras. Aussitôt Eugénie eut un sursaut de protestation :

— Laisse-moi !…

Thérèse, dans son coin, éclata en sanglots. Elle oublia les dangers que pouvait courir Philippe, pour ne penser qu’à elle-même, à ses intérêts et à ses convoitises.

Sur le sable plus épais du chemin, le long de l’Hérault, l’auto roulait dans la joyeuse lumière, au vent frais qui maintenant soufflait des Cévennes. Dès qu’elle eut stoppé devant l’hôtel, Eugénie en descendit à la hâte, criant ;

— Thérèse, dépêche-toi !

Thérèse la conduisit au premier étage, dans le couloir des belles chambres. Là, Irène attendait, haletante d’angoisse :

— Ô ma bonne Eugénie !… Au moins ne t’alarme pas ! Ce ne sera rien.