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le château vert

prétentieuse et d’une enfant mal élevée, s’enfonçait dans la dette chaque jour davantage.

S’étant retournés dans le sentier, vers la touffe de roseaux, ils arrivaient au même endroit que tout à l’heure. Alors la silhouette élancée de Mariette attira leurs regards.

Mariette était en toilette grise, que recouvrait aux trois quarts un tablier de satinette mauve, et les bras nus jusqu’au coude, elle s’avançait d’un pas harmonieux dans le rayonnement des fleurs qui la faisaient plus brillante.

— La fille du jardinier ! dit Thérèse.

— La muse de mon quartier ! répondit Philippe

— Ta muse ?

— Voyons, voyons !… Qu’as-tu ?

— Rien. Que je suis sotte !

— Il me semble que oui.

Philippe souriait de si bonne grâce que Thérèse se rassura. La fille d’un jardinier ! Philippe Ravin ne pouvait pas s’attacher à la fille d’un jardinier ! On savait bien que Thérèse Jalade était réservée à Philippe Ravin. Elle était du moins persuadée que les deux familles avaient depuis toujours décidé leur mariage.

Debout auprès de lui, elle regarda franchement la belle Mariette, qui était son aînée de quatre ans. Celle-ci s’étant arrêtée devant un buisson de roses, leva dans leur direction ses yeux noirs, si purs. Philippe aussitôt la salua de la main ; Thérèse imita son geste amical. Mariette dit bonjour, un peu confuse, en effleurant des doigts le bord de son chapeau de tulle, et elle ajouta :

— Mademoiselle Jalade a donc quitté le grau aujourd’hui ?

— Oui, mademoiselle, répliqua Thérèse. On n’y est pas mal, mais on est mieux ici.

— En effet, on est très bien dans ce quartier champêtre.

Et disant : « au revoir ! » Mariette continua son chemin dans l’allée centrale qu’encensaient dans le chaud soleil tant de parfums suaves. Philippe, dont la gentillesse de Mariette avait ranimé le désir d’amour, pinça gaiement Thérèse au coude, et même d’un ton railleur il la taquina :

— Tu ne veux pas être jardinière, toi ?

— Non, tout de même… Dis, comment la trouves-tu, ta voisine ? Moi je la trouve sympathique, un peu maniérée.