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le château vert

jusqu’au phare qui, tout à la pointe de la jetée élève sa tour blanche et sa lanterne de verre, dont la clarté dès le crépuscule s’élance vers le large et le promontoire de Cette, très loin.

Benoît, quand il eut fait un tour à la cuisine, s’esquiva par le jardin potager vers le garage. Tout à coup, une auto, la sienne, tourna devant lui, dans la direction d’Agde. Il appela :

— Jacques, arrête !… Arrête !…

Jacques, son chauffeur, n’entendit rien. Thérèse feignit de ne rien entendre, et même elle se mit à rire. L’auto filait comme une folle, le long de l’Hérault. Cinq kilomètres, jusqu’à Agde, illustre cité de jadis, qui, bâtie avec des laves de son volcan, semblait brûlée par un incendie. Ses rues tortueuses sentaient la marée, le cuir et le goudron, aussi la cuve en fermentation par ces temps de vendanges. Car la plaine de sable, qui va de la ville au grau était depuis vingt ans transformée en royaume des vignes.

L’auto longea les quais, jusqu’au delà du pont suspendu puis, contournant le moulin royal dont la digue brise le cours du fleuve, elle monta vers la promenade aux radieux platanes, et à la lisière de la ville, dans un quartier de jardins, elle s’arrêta devant la grille d’une maison presque neuve un castel bourgeois qu’égayait un parc. Thérèse mit allègrement pied à terre et, négligeant de sonner à la grille, elle pénétra au pas de course chez les Ravin.

Dans l’ample vestibule, qui était dallé de marbre gris, Mme Ravin, la corpulente et généreuse Eugénie, accueillit l’enfant avec des transports de joie.

— Que tu as bien fait de venir !

— Papa ne voulait pas. Il a peur que je sois indiscrète.

— Toi !… Depuis quand ?

Thérèse déposa son chapeau et son ombrelle dans le boudoir, où Eugénie l’avait accompagnée.

— Et Philippe ? demanda-t-elle.

— Il travaille au bureau. Mais il ne tardera pas à rentrer avec son père.

Un peu après midi, les deux hommes rentrèrent, en effet, toujours contents. M. Ravin, François, ainsi que l’appelait familièrement Thérèse même, était plutôt petit, assez laid, les yeux illuminés d’intelligence et de bienveillance dans un visage anguleux.