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Ce n’est pas pour te priver du baiser que je l’ai pris. (Il la baise au front.)
La Comtesse
Des libertés !
Figaro, à part.
Coquine !
Suzanne, à part.
Charmante !
Le Comte prend la main de sa femme.
Mais quelle peau fine et douce, et qu’il s’en faut que la Comtesse ait la main
aussi belle !
La Comtesse, à part.
Oh ! la prévention !
Le Comte
A-t-elle ce bras ferme et rondelet ? ces jolis doigts pleins de grâce et
d’espièglerie ?
La Comtesse, de la voix de Suzanne.
Ainsi l’amour ?…
Le Comte
L’amour… n’est que le roman du cœur : c’est le plaisir qui en est l’histoire ;
il m’amène à tes genoux.
La Comtesse
Vous ne l’aimez plus ?
Le Comte
Je l’aime beaucoup ; mais trois ans d’union rendent l’hymen si respectable !
La Comtesse
Que vouliez-vous en elle ?
Le Comte, la caressant.
Ce que je trouve en toi, ma beauté…
La Comtesse
Mais dites donc.
Le Comte
…Je ne sais : moins d’uniformité peut-être, plus de piquant dans les manières,
un je ne sais quoi qui fait le charme ; quelquefois un refus, que sais-je ? Nos
femmes croient tout accomplir en nous aimant : cela dit une fois, elles nous
aiment, nous aiment (quand elles nous aiment) et sont si complaisantes et si
constamment obligeantes, et toujours, et sans relâche, qu’on est tout surpris,
un beau soir, de trouver la satiété où l’on recherchait le bonheur.
La Comtesse, à part.
Ah ! quelle leçon !
Le Comte
En vérité, Suzon, j’ai pensé mille fois que si nous poursuivons ailleurs ce
plaisir qui nous fuit chez elles, c’est qu’elles n’étudient pas assez l’art de
soutenir notre goût, de se renouveler à l’amour, de ranimer, pour ainsi dire, le
charme de leur possession par celui de la variété.
La Comtesse, piquée.
Donc elles doivent tout ?…
Le Comte, riant.
Et l’homme rien ? Changerons-nous la marche de la nature ? Notre tâche, à nous,
fut de les obtenir ; la leur…
La Comtesse
La leur ?…
Le Comte
Est de nous retenir : on l’oublie trop.
La Comtesse
Ce ne sera pas moi.
Le Comte
Ni moi.
Figaro, à part.
Ni moi.
Suzanne, à part.
Ni moi.
Le Comte prend la main de sa femme.
Il y a de l’écho ici, parlons plus bas. Tu n’as nul besoin d’y songer, toi que
l’amour a faite et si vive et si jolie ! Avec un grain de caprice, tu seras la
plus agaçante maîtresse ! (Il la baise au front.) Ma Suzanne, un Castillan n’a
que sa parole. Voici tout l’or promis pour le rachat du droit que je n’ai plus
sur le délicieux moment que tu m’accordes. Mais comme la grâce que tu daignes y
mettre est sans prix, j’y joindrai ce brillant, que tu porteras pour l’amour de
moi.
La Comtesse, une révérence.
Suzanne accepte tout.
Figaro, à part.
On n’est pas plus coquine que cela.
Suzanne, à part.
Voilà du bon bien qui nous arrive.
Le Comte, à part.
Elle est intéressée ; tant mieux !
La Comtesse regarde au fond.
Je vois des flambeaux.
Le Comte
Ce sont les apprêts de ta noce. Entrons-nous un moment dans l’un de ces
pavillons, pour les laisser passer ?
La Comtesse
Sans lumière ?
Le Comte l’entraîne doucement.
À quoi bon ? Nous n’avons rien à lire.
Figaro, à part.
Elle y va, ma foi ! Je m’en doutais. (Il s’avance.)
Le Comte grossit sa voix en se retournant.
Qui passe ici ?
Figaro, en colère.
Passer ! on vient exprès.
Le Comte, bas, à la Comtesse.
C’est Figaro !… (Il s’enfuit.)
La Comtesse