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trompeuses, elles ont donné des marques d’une disgrâce ouverte au Théâtre-Français, en refusant d’y voir représenter ma pièce ?

Je me garderai donc, moi qui suis bien instruit, de porter le manque de respect au point de laisser étendre et s’établir jusqu’au pied de leur palais les éclats insensés d’un succès que je désavoue, puisqu’il a le malheur de déplaire. C’est déjà trop pour moi d’avoir privé le Théâtre-Français de leur présence.iulii-Ic sans que j’aille écraser votre spectacle en les éloignant d’un théâtre dont elles se sont montrées protectrices.

Je dois trop, d’ailleurs, au zèle des comédiens de la reine et du roi, lesquels jouent ma pièce beaucoup mieux peut-être que la comédie ne l’a été depuis trente ans, et je les vois trop affectés de la disgrâce que je leur cause, pour que j’abandonne à d’autres comédiens l’honneur de détruire un jour une prévention aussi l fâcheuse.

Ils ne sont que trop découragés. La cour entière est contre vous, répètent-ils avec chagrin. — Heureusement, leur dis-je, mes bons amis, le roi n’est pas de cette cour-là. La reine elle-même est trop juste pour être arrêtée longtemps par des clameurs aussi frivoles. Les courtisans, ayant vu quelquefois les citadins punir les succès dramatiques obtenus à la cour, par le blâi l’un moment usent aujourd’hui de représailles, el croient bien venger leur injure en dénigrant le fol ouvrage qui réussit trop à Paris, Qu’ils continuent donc, s’ils peuvent, à tromper la peine, comme ils avaient réussi à tromper le roi, sur le véritable objet d’un ouvrage De qui la coupable gaieté

Va poussant même la licence

Jusqu’à due la vérité.

Tout cela, dis-je, mes amis, n’est qu’un jeu puéril de l’amour-propre, et qui ne fait rien, avec le temps, au jugement porté sur les ouvrages du théâtre.

De tout cela, madame, il résulte que je ne puis laisser prendre aucun rôle d’avance à la Comédie française ; et que, donnant à la verte intrigue le temps de mûrir et de tomber, je ne dois même imprimer la Folle Journée que quand les opinions considérables de la cour se réuniront aux opinions considérées de la ville pour adopter ou rejeter le Mariage de Figaro.

J’ai l’honneur d’être, madame, votre, etc.

LETTRE XXXII.

À M. PUJOS.

Paris, ce 11 juin 1784.

Ma prétendue célébrité, monsieur, n’est que du tapage autour de moi, beaucoup d’ennemis, encore plus de courage, et des succès trop disputés pour que la belle gravure qui me représenterait ne parût pas déplacée parmi celle des hommes justement célèbres dont vous portez les traits à la postérité.

Voilà, monsieur, ce que j’ai dit à M. de Saint-Ange ; à quoi j’ai ajouté que j’espérais vous posséder un jour à dîner avec plusieurs autres grands maîtres, pour raisonner sur la médaille que je me suis promis de décerner au grand Voltaire.

Lorsque M. Cochin vint m’enlever de profil en 1773, ce fut à titre d’homme malheureux, injustement persécuté, dont le courage pouvait servir de leçon, que je me laissai faire ; et je lui serrai la main en m’enfuyant à Londres. Il y avait alors une espèce de moralité dans son crayon : on ne verrait aujourd’hui dans le vôtre qu’une sotte vanité de ma part ; et la rage envenimée qui me poursuit ne manquerait pas de m’en faire un nouveau tort, si j’acceptais votre offre honorable. Recevez donc mes actions de grâces, et faites-moi la justice de me croire, avec la plus douce reconnaissance de votre aimable prédilection, monsieur, votre, etc.

LETTRE XXXIII.

AUX AUTEURS DU JOURNAL DE PARIS.

Du 12 août 1784.

Messieurs,

Je suis forcé de mettre au jour le plan de bienfaisance annoncé par moi dans votre feuille du 4 août, avant même que j’aie pu rassembler toutes les notions qui lui donneront de la consistance :

Parce que je ne puis trop tôt détromper les personnes malheureuses à qui ma lettre a fait prendre le change sur mes idées, mon crédit et mes moyens ;

Parce que je n’ai pas assez de temps pour répondre aux trois ou quatre cents lettres que le journal m’a attirées : je supplie leurs auteurs de trouver bon que celle-ci m’acquitte envers eux, et je le dis avec vérité, sur un objet auquel je n’ai eu part qu’incidemment. Je suis aussi loin de mériter les éloges qu’on m’a donnés, que les injures qui m’ont été écrites.

Quoi qu’il en soit, voici mon plan, dont la douce utilité peut échauffer des personnes assez puissantes pour lui donner une étendue sans laquelle il n’est presque rien.

Ce qui m’en a fourni l’idée mérite d’être rapporté.

Un homme de qualité, philosophe sensible, dissertant un jour avec moi sur la mendicité, dont on s’est toujours moins occupé que des mendiants, me dit : Enseignez-moi le moyen d’employer en charités douze mille francs, bien noblement. — Si ce n’est pas utilement que vous entendez par ce mot, je me vois hors d’état de diriger vos vues. — Oui, c’est utilement, dit-il, mais d’une utilité plus étendue que ne peut l’être un don individuel. — J’en-