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tous 1rs tempéraments qui conviendront à S. M. si je le puis sans périr. Je vous remercie de nouveau des cent mille francs Nassau que vous m’avez remis avant l’époque ; et je suis, en attendant le rendez-vous, avec une reconnaissance aussi franche que respectueuse,

Monsieur, etc.

LETTRE XXVI.

À M. LE COMTE DE MAUREPAS.

Paris, le 21 juillet 1780.

Monsieur le comte,

En faisant monter la fortune de Marmontel à quinze mille livres de rentes, on vous en impose de plus de moitié : personne ne la connaît mieux que moi. L’état juste est entre les mains de M. le cardinal de Rohan ; et il y a tout mis, jusqu’à une rente viagère de cinq cent quarante livres sur M. le duc d’Orléans. Sa fortune ne se monte en tout qu’à six mille sept cents livres, dans lesquelles sont compris deux produits très-précaires : seize cents livres sur la Comédie italienne, qui vont se réduire à rien, parce que ses pièces sont usées ; et trois mille livres sur le Mercure, qui a déjà fait banqueroute il y a deux ans. D’ailleurs, quand sa fortune serait égale à celle de son concurrent, ses titres littéraires sont bien plus forts ; et quand ses titres seraient égaux à ceux de l’autre, sa médiocre fortune et son état de père méritent d’être mis en balance, et peut-être de l’emporter. Mais il y a ici une considération qui mérite plus encore de vous être offerte. Pour quelque demandeur que votre bienveillance se tourne, n’oubliez pas, je vous en conjure, que si messieurs les premiers gentilsbommes de la chambre se mettent à la tête de la sollicitation, et que si le brevet est remis à aucun d’eux pour le transmettre au plus heureux, de ce moment se regardant comme les protecteurs des académiciens, ils vont asservir l’Académie, comme ils ont asservi la Comédie. Alors tout deviendra bas, servile, rampant dans un corps qui ne peut conserver un peu de dignité que par sa dépendance immédiate du roi et des ministres. Faites que le favorisé reçoive la grâce du roi sans intermédiaire.

Personne ne sait mieux que vous qu’on se fait des droits de tout à la cour, et que la Comédie est trop mal administrée pour qu’on étende l’influence de ses chefs jusque sur l’Académie. La première partie de ma lettre est offerte à l’homme généreux ; la seconde au ministre éclairé, pour lequel je porte le plus vif sentiment jusqu’où le plus profond respect me permet de l’étendre.

LETTRE XXVII.

AU MÊME.

Paris, le 16 septembre 1780.

Monsieur le comte,

J’ai l’honneur de vous adresser le mémoire qui doit nous aider à sanctifier les caresses de deux tourtereaux qui courent le monde. Vous jugez si cela presse. Le dégoût suit souvent de si près cette espèce de bonheur, que je crains pour le divorce avant l’hymen, si l’hymen ne se hâte pas d’arriver avant le divorce.

J’ai eu hier la plus satisfaisante des conversations avec M. Le Noir, au sujet du spectacle français. Il vous certifiera demain qu’il est parfaitement de l’avis des génies sages qui croient qu’un second théâtre décent serait très-utile à la capitale. Il est bien loin de prendre aucun intérêt à la foule de tréteaux dont les boulevards se remplissent. On vous dira peut-être que je vais séduisant tout le monde, parce que le maréchal de Richelieu, qui s’y opposait, se trouve aujourd’hui de mon avis. Mais, monsieur le comte, ne faudrait-il pas renoncer à la raison, qui est toujours si froide et souvent si sévère, si elle ne servait pas quelquefois à faire adopter des idées et des plans utiles ? Je tâche d’avoir raison, et de bien simplifier mes idées en les offrant ; voilà tout mon secret. Il arrive que sur cent personnes j’en acquiers quatre ou cinq. Il n’y a pas là de quoi se vanter. Puissiez-vous être du petit nombre de ceux qui pensent comme nous ! Le théâtre français vous devra sa restauration entière.

Après vous avoir parlé comme auteur dramatique, permettez-moi de prendre ma casaque de porteur d’eau, pour vous demander une nouvelle grâce.

Je suis, ainsi que M. Le Noir, un des actionnaires de la pompe à feu de Perrier, qui doit donner tant d’eau à la ville, qui en a si peu ; plus cet établissement est utile, plus vous sentez qu’il est traversé.

M. Le Noir vous dira demain que le plus misérable incident peut retarder de plus d’un an le premier effet de cette salutaire machine ignée-aquatique.

La faveur dont nous avons besoin en ce moment serait que M. le garde des sceaux voulût bien écrire à M. le président de vacation de ne rien prononcer sur l’affaire des entrepreneurs de la machine à feu contre la commune de Chaillot, jusqu’à ce qu’il lui en ait parlé lui-même. Cela donnera le temps de remettre un mémoire à M. le garde des sceaux et à vous, monsieur le comte, qui, en vous instruisant de la contestation, excitera votre bienveillance en faveur d’un si utile établissement, qui ne coûte pas un sou à l’État.

Mon respectueux dévouement est inaltérable.

Le petit mot de M. le garde des sceaux, s’il l’accorde, doit parvenir au président de vacation avant mercredi matin ; M. Le Noir vous en expliquera toute l’importance.

Monsieur le comte,

Votre, etc.