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un de ses plus chers affiliés, vous ne m’avez jamais montré que bonté, loyauté, douce protection et franche adjudance. Et moi, plus touché que je ne puis le dire, je regrette bien que cet obstiné, cet injuste ennemi n’existe plus : la grande confiance qu’il avait en mon caractère l’eût enfin converti, et le plus reconnaissant de tous vos serviteurs vous eût certainement ramené ce cœur, aveuglé sur votre compte.

Pardon, monsieur le comte : j’aime à parler de lui, parce qu’il m’avait voué un attachement paternel ; et j’aime à en parler devant vous, parce que, sans l’avoir mérité, je retrouve sans cesse en vos procédés pour moi tout ce qui lui avait enchaîné mes affections.

Je prends la liberté de joindre à cette lettre un court mémoire instructif sur la requête qui sera rapportée samedi par M. Amelot au conseil des dépêches.

Je viens d’envoyer à M. de Vergennes un travail faiblement composé, parce que je suis souffrant, mais au moins propre, par la vérité de tous les faits qu’il contient, à repousser victorieusement les insidieux reproches du cabinet de Saint-James sur nos prétendues perfidies.

Ma reconnaissance et mon respect pour vous sont deux sentiments aussi doux à mon cœur qu’ils sont inaltérables.

Votre, etc.

LETTRE XXIV.

AU MÊME.

I.o 21 mars 1780.

Monsieur le comte,

De quelque part que sorte une fausse imputation, il me semble qu’on ne peut trop tôt la détruire. M le maréchal de Duras, ce matin, m’a dit qu’on lui a dit que vous avez dit que je vous ai dit que c’est mal fait d’asseoir le parterre à la Comédie.

Si vous avez pu me suivre à travers ce tourbillon de paroles, et repêcher le fait noyé dans tous ces on dit, vous savez très-bien, monsieur le comte, que tout cela n’est qu’une grosse calomnie qui circule à Paris comme tant d’autres, et qu’on a fait arriver jusqu’à l’hôtel de Duras pour me faire une tracasserie. Loin d’oser ouvrir un avis contraire à l’idée la plus raisonnable, qui est d’asseoir le parterre au spectacle, je vous supplie de vous rappeler que cette demande est un des premiers articles du projet de règlement théâtral que j’ai eu l’honneur de vous soumettre cet été, au nom et comme commissaire de toute la littérature française.

Mais, pour qu’il ne reste aucun doute sur mes principes à cet égard, daignez encore, monsieur le comte, recevoir ma profession de foi sur ce point débattu devant vous.

Aucune autre nation que la française n’a la barbarie de supplicier les auditeurs d’un spectacle établi pour leur délassement, en les tenant debout, froissés, étouffés et serrés à disloquer les corps les plus robustes, on est assis en Italie, en Espagne, en Angleterre et partout. Les seuls gens à Paris qui aient à se louer de notre pénible façon d’exister au spectacle sont les cabaleurs et les filous, qui, n’étant là que pour faire le mal ou prendre le bien d’autrui, rempliraient bien plus difficilement ces deux objets dans un parquet assis, qu’au parterre incommode et indécent de Paris, tel qu’il existe aujourd’hui : ce qui est, selon moi, d’une grande considération.

Mais plus je sens l’utilité de cette sage et désirable réforme, plus je crains qu’en manquant de prendre une précaution essentielle, un essai légèrement combiné et précipitamment exécuté ne ruine, dans l’opinion publique, le désir et l’estime d’un plan aussi salutaire, avant qu’on en ait senti le bon effet.

Votre, etc.

LETTRE XXV.

À M. NECKER.

Paris, le 18 juillet 1780.

Monsieur,

Vous avez fait à mon égard un acte de justice, et vous l’avez fait avec grâce : ce qui m’a plus touché que la chose même. Je vous en remercie. Je puis vous devoir des remercîments plus importants sur l’indemnité que le roi a bien voulu me faire offrir pour les pertes énormes que m’a causées la campagne d’Estaing. Di quelques éclaircissements peuvent hâter l’effet de la justice du roi, parlez, monsieur ; mes affaires exigent que je supplie S. M. de m’accorder promptement un à-compte que j’ai refusé il y a un an, parce que je n’en avais pas besoin. Le retard inouï de mes vaisseaux, et peut-être leur perte entière, rend ma sollicitation plus pressante. Je suis, de tous les sujets du roi, le moins à charge de l’État ; je n’ai demandé ni fortune, ni honneurs, ni emploi, ni traitement, et je n’ai jamais désiré d’autre récompense de mes travaux que de n’être jugé sur rien sans être entendu : jusqu’à présent j’ai obtenu des ministres du roi ce premier des biens pour celui qui marche à travers une foule d’ennemis, et je me trouve heureux que leur justice m’ait toujours mis à portée de me défendre quand on m’a calomnié. Mais ce n’est point une grâce que je demande aujourd’hui, quoique je sois disposé à recevoir à ce titre la justice rigoureuse que le roi a reconnu qui m’était due. Quel qui— soit l’ei. ii de. finances du royau, l’acompte que je sollicite ne peut on diminuer l’aisance ni eu accroître la gène ; car de ce que mes vaisseaux ont fait à mes dépens, on en eût payé à leur place qui eussent coûté au roi plus que je ne lui demande.

Je vous porterai l’état de la mise hors de cette flotte aujourd’hui presque anéantie, et je prendrai