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chal les trouva si justes, qu’il voulut bien nous réitérer l’assurance de signer la rédaction du nouveau projet d’arrêt aussitôt que je l’aurais achevée sur ce nouveau plan ; ajoutant qu’il avait déclaré la veille, à l’Académie française, qu’il était l’ennemi juré des injustices que les comédiens faisaient aux gens de lettres. Il n’y eut donc encore que des grâces à lui rendre.

Je revins achever la nouvelle rédaction ; et le 6 mai 1780, jour que M. le maréchal m’assigna pour la lui porter, M. des Entelles, intendant des menus, et deux des premiers comédiens français, MM. Préville et Monvel, s’étant trouvés comme par hasard chez lui, je le suppliai de les admettre à la lecture que j’allais lui faire du projet d’arrêt, désirant ne rien dissimuler à personne de mes travaux ni de leurs motifs.

À la lecture de l’article 7, le plus important de tous, M. Préville fit une observation qui me force à le rapporter ici tel que je l’avais rédigé.

« Art. 7. Les sommes au-dessous desquelles les pièces seront tombées dans les règles demeureront fixées, comme elles étaient dans l’ancien règlement, à douze cents livres pour les représentations d’hiver, et huit cents livres pour les représentations d’été. Bien entendu que, pour ce calcul, toutes les recettes brutes, sans aucune déduction de frais, et sous quelque dénomination que ce soit, rentrent dans la recette brute de la porte, dont elles ont été successivement retranchées. Et cela selon la lettre et l’esprit de l’accord fait entre les auteurs et les comédiens, signé d’eux tous, des premiers gentilshommes de la chambre, approuvé, confirmé par S. M., et annexe au présent arrêt. >> M. Préville remarqua donc que, vu l’abondance de la recette ordinaire, si la Comédie était forcée de jouer les pièces nouvelles jusqu’à ce qu’elles tombassent à douze cents livres de recette entière, le public, las de les voir si longtemps, abandonnerait le spectacle : car, y ayant déjà huit cents livres de recette par jour en petites loges, aucune pièce ne pouvait plus tomber l’été dans les règles ; et l’hiver elles y tomberaient tout aussi peu, puisque la plus mauvaise pièce donnerait au moins quatre cents livres de recette casuelle à la porte : ce qu’il ne disait pas, ajouta-t-il, pour toucher à la propriété des auteurs, mais afin qu’on cherchai un moyen d’empêcher une pièce usée pour le public de traîner longtemps à la plus basse recette. Je repondis que la remarque était juste, et qu’il ne fallait pas que le public souffrît de la loi qui fixait la propriété des auteurs à un certain taux ; mais que cet inconvénient ne venant que d’une recette constamment abondante-, et qui donnait chaque jour un produit assuré plus considérable que les frais du spectacle, il y avait un moyen simple de ménager tous les intérêts, qui était de restituer au droit des auteurs, sur le fruit de chaque représentation, ce que le respect dû au public forcerait de retrancher sur le nombre des représentations.

Je rappelai encore ici le principe de la chute dans les règles, dont l’esprit n’avait pas été de dépouiller un auteur vivant dans la vue d’enrichir les comédiens, mais seulement de permettre à ces derniers de cesser de jouer une pièce lorsque la Comédie prouvait à l’auteur que le goût du public était usé sur l’ouvrage, puisqu’elle n’avait fait en recette que ses frais deux fois de suite, ou trois fois par intervalle : ce qu’il ne faut jamais oublier.

La chose fut bien débattue ; et enfin M. le maréchal me proposa, par esprit de conciliation, de porter à quinze cents livres de recette entière le terme où les comédiens pourraient cesser de jouer régulièrement une pièce nouvelle. Et moi, qui voulais la paix autant que lui, je consentis à ce sacrifice, à cette augmentation de cent écus en faveur de la Comédie, pourvu que l’auteur conservât son droit de propriété sur sa pièce, s’il plaisait un jour aux comédiens de la reprendre ; et ce tant qu’elle ne serait pas tombe i deux IV is de suit : i douze cents livres de recette, etc. J’écrivis sur-le-champ au bureau de M. le maréchal cette addition de clause à l’article 7, et elle me sembla le terminer à la satisfaction de tout le monde.

Pendant que je la rédigeais, les deux comédiens français s’entretinrent un moment dans une pièce voisine avec M. le maréchal ; et lorsqu’ils rentrèrent, on me demanda si, pour compenser cette conservation de propriété des auteurs, je ne consentirais pas que les pièces nouvelles fussent jouées de deux jours l’un, sans distinction de grands et de petits jours, afin d’aller plus vite, et, de représenter par an plus d’ouvrages nouveaux, ce qui plairait fort au public.

On craignait sans doute que je n’acceptasse point la proposition, car sitôt que je dis que je n’y voyais point d’inconvénient, M. le maréchal me proposa d’y soumettre les auteurs par ma signature, et comme chargé de leurs pouvoirs, etc. Je consentis à le faire, pourvu toutefois qu’on accoutumât le public à ce changement en rompant l’ordre des jours de la Comédie, et donnant sans distinction de grands et de petits jours, pendant trois ou quatre mois, des tragédies ou comédies anciennes, avant de soumettre à cette épreuve les ouvrages nouveaux : ce qui passa pour arrêté.

La rédaction de l’article fut faite tout de suite, et signée de moi pour les auteurs ; elle le fut aussi de M. le maréchal de Duras, et de MM. Préville et Monvel pour les comédiens. J’ai cette minute entre les mains ; et j’appuie sur ce mot, parce qu’on ne tardera pas à juger de quelle importance cette minute est devenue pour démêler l’intrigue élevée contre ce second arrêt du conseil.

Je fis mettre au net la minute entière du projet de l’arrêt ; le 9 mai, j’en portai l’expédition à M. le maréchal de Duras avec cette minute, pour les con-