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car c’est là le grand argument avec lequel ils rendent à Paris le peuple furieux contre moi ! Je veux que l’armurier brabançon < qui les a bien huilées, encaissées, emmagasinées à Tervère, il y a un an, vienne les y reconnaître devant vous sur l’état qu’il en fit alors, et que l’on m’a remis depuis, certifié par le vendeur en neuf cent vingt-deux caisses et vingt-sept tonneaux ou barils. »

M. de Maulde me répondit : « Vous pouvez, si vous le voulez, vous épargner tous ces embarras-là : un sieur Constantini, qui m’apporte une lettre du ministre Lebrun, le recommandant à mes soins, m’a prié de vous proposer de lui céder la cargaison entii re « sept florins huit sous la pièce, payés en or, et sur-le-champ. Ce n’est qu’un florin de moins que le prix du gouvernement : et vous le regagnerez bien par tous ! • s soins que i ous i oust pargm :.’Cet homme paraît tort avant dans la confiance des ministres. I ! en a obtenu le privilége exclusif de fournir au Tient tout ci qu’on tire de Hollande. Et les difficultés qu’on peut vous faire en France, il paraît bien qu’on ne les lui fera pas, du moins si j’en crois ses paroles. »

J’ouvris mon cœur à M. de Maulde (un des hommes les plus francs, les plus instruits, les plus honnêtes que j’aie rencontrés de ma vie). Je lui confiai mes vifs regrets sur l’imprudence que j’avais eue de sortir de la nullité dans laquelle je m’en. mrm faire ombrage à personne, en cédant up d’instances pour rendre à mon pays un aussi dangereux !

Je lui rendis tout ce qu’on vient de lire, et les que je courus à l’approche du 2 sep lorsque.1 eus refusé les offres et bien déd menaces de ce M. Constantini.

< Voilà, dis-je, pourquoi l’on m’a dénié tout concours, tout secours et toute justice à ci pouvoir Ils ont voulu nie mettre a la merci de leur Constantini, sans appui et sans nuls moyens ; mais M. Lebrun m’en tirera ! il nie l’a bien promis, el nous aurons servi la France malgré eux : C’est toute ma consolation !

Mais je vous supplie de me dire sous quelle l tistantini vous a prié de me faire ses offres, afin de bien juger des choses que je connais par celles que vous aurez la bonté de m’apprendre. o — Oh ! mais, dit-il, la forme est peu de chose quand le fond est bien avéré. II m’a dit fort légèrement, après m’avoir beaucoup vanté son crédit auprès des ministres — I inc ce Beaumarchais à me céder sa cargaison à un florin <r i moins que Cachai du gouvernement, s’il maravec moi, il s’en trouvera mal ! s’il y it, il i : hera son argent sur le champ << chez la veuve Lombaert, d’Anvers, chez qui j’ai ■ i

■ la sur ce que je lui ai dit que, si vous cédiez les fusils, je n’étais plus tenu d’en recevoir l’expropriation à T nri-e : —.’Je n’en ai pas besoin, dit-il, et je prends tout sur ma responsabilité, i ai du auprès de M. Lebrun. Je ne crains pas i’qu’il me refuse quelque chose, n 11 m’a même ajoute, d’un air un peu protectoral : ■ ous recevez " eliez vous ce Beaumarchais I mais je vous avertis » que cela peut vous nuire auprès de no (i vernement. Pensez-y un peu, je vous prie. Vous le voyez, lecteur, si cet boni ni était fort avant dans la confiance des ministi ••.’

« Lt il faut, au surplus, qu’il soit assez sur de son fait, a continué M. de Maulde, car, ayant acheté un parti de quatre mille fusils, dont M. Lebrun m’écrit qu’il a déjà livré six mille…, — M. Saint-Padou, officier d’artillerie (envoyé par M. Servan pour visiter les armes que ces grands fournisseurs enlèvent de ce pays), ayant voulu visiter ces quatrt milleh leur départ. Constantini m’a dit légèrement : « Je ne veux point de sa visite : je n’ai besoin de lui ni de personne pour les faire accepter là-bas ; je me charge de tout. J’ai du crédit. J’ai dit à Saint-Padou qu’il pouvait s’en retourner. » « Quand, j’ai rendu ces mots à M. Saint Pad ». me dit M. de Maulde, il m’a prié de sollii rappel près du ministre de la guerre, puisqu’il est inutile ici, ces messieurs prétendant se p. contradicteurs : ce que j’ai fait.

« — Eh bien ! monsieur, lui répondis-je, dites à M. Constantini que je rejette avec mépris ses offres, comme je les ai rejetées sous le poignard à l’Abbaye, et qu’il n’aura pas mes fusils. Il y a longtemps que cette affaire n’est plus commerciale pour moi. Certes, mon pays les aura ; mais il les tiendra de moi seul, au premier prix que je les ai vendus, et pas un florin au delà ! Nul brigandage ne se fera dessus ! »

Je tourmentais M. de Maulde pour se transporter à Tervère, et j’invoque son témoignage sur l’empressement que j’y mis. Il me répondait : « Attendons que le cautionnement soit arrivé, suivant votre propre principe, qu’il faut tout mener à la fois. J’en viens d’écrire à M. Lebrun, lui disant que nous l’attendons. »

Depuis le 20 septembre jusqu’au 18 d’octobre, point de nouvelles du ministre ! Ma confiance s’ébranlait. J’écris moi-même, le 16, à M. Lebrun. Ma lettre rappelle ses promesses et tout ce que vous avez lu. Après lui avoir annoncé les embûches qu’on me tendait, j’y mis ce petit P. S. :

« À la première nouvelle de nos succès (de ceux de Dumouriez), notre cent vingt-cinq millions a monté de quinze pour cent ; le change est à trente-six et demi. Il faut être en pays étranger pour se faire une vraie idée du plaisir excessif qu’une bonne nouvelle de France nous cause. La joie y va jusqu’à l’exaltation : elle se compose de notre plaisir, et du chagrin qu’il cause aux autres. »

J’attends jusqu’au 6 de novembre. N’ayant point encore de nouvelles, j’adresse à M. Lebrun une seconde lettre plus forte et plus circonstanciée, mais